Il y a des degrés dans ce dont je prends conscience, dans le contenu de la pensée, de ma perception, de ma volonté.
Mais il n'y en a pas dans la Lumière que je suis, Lumière qui est tout aussi bien perception, pensée, volonté et action.
Il y a une parole, mystérieuse et limpide en même temps, qui l'énonce avec force :
sakṛdvibhāto'yamātmā pūrṇo'sya na kvāpi aprakāśasaṃbhavaḥ |
(cité par Kshéma Râdja dans son Spanda-samdoha, attribué aux Shiva-sûtra, mais attribué par Abhinava, qui le cite aussi, à un Sârasvata-samgraha) :
Ce Soi est manifesté une fois pour toutes.
Il est complet/parfait.
Il est impossible qu'il ne se manifeste pas
quelque part/à un moment.
Plus littéralement :
"Manifesté d'un seul coup est ce Soi complet ; de lui nulle part il y a possible non manifestation"
"Ce Soi" : le Soi, l'absolu, est proche. Il est moi, plus intime que tout ce qui pourrait m'en éloigner.
Pourquoi, parce qu'il est la Lumière qui éclaire tout, et qui se manifeste en manifestant tout.
Comment en être certain ?
Par expérience et raisonnement.
La conscience est évidente. C'est elle qui, ici et en cet instant même, manifeste ces mots et tout ce qui surgit, au dehors comme au dedans.
Mais comment savoir qu'elle est "toujours présente" ?
Parce que, si elle était absente, la disparition des choses ou d'elle-même serait impossible.
Supposons un instant qu'elle disparaisse. Qui constate cette disparition ? Si cette disparition ne se manifeste pas, comment savoir qu'il y a disparition ? Et si elle se manifeste, le Soi est cette manifestation elle-même !
En sanskrit, "apparition", "manifestation" et "lumière" sont un même mot : prakâsha, "illumination", ce qui facilite la compréhension de ce point essentiel.
Cette Lumière, qui n'est rien de ce qu'elle éclaire, illumine, manifeste, est sans forme, simple. Elle n'a pas de partie, de"couches", ni de niveaux. Elle est manifestée tout entière, "une fois pour toutes".
sakṛdvibhātah : "manifesté une fois pour toutes". C'est tout, ou rien. Comme ça n'est pas rien, c'est tout. Simple koân non-duel, que l'on retrouve aussi bien dans le shivaïsme du Cachemire que dans le Vedânta (Gaudapâda).
La Lumière ne peut pas ne pas briller.
L'Apparence ne peut pas ne pas apparaître.
La Manifestation ne peut pas ne pas être manifeste.
L'Espace ne peut qu'être omniprésent.
La Lumière brille complètement, parfaite, sans rien cacher.
La conscience est donnée toute entière en chaque instant. Elle est l'instant qui ne passe pas, en lequel passent les temps, Passé et Futur.
D'un autre côté, à la différence de l'espace physique, la conscience peut se prendre pour ce qu'elle n'est pas. Elle peut se réaliser complètement, parfaitement, mais aussi se manifester comme oubli de soi. Elle peut prendre conscience de soi comme inconscience : c'est là son "pouvoir de réaliser l'impossible" (atidurghata-kâritvam), sa liberté souveraine, le pouvoir que seule la conscience possède, et qui est son essence, et qui est donc la quintessence de tout. Elle peut donc devenir, progresser, régresser, se cacher et se révéler à elle-même. C'est l'aventure de la vie.
Et donc,
cidghanamātmapūrṇaṃ viśvam
Toute chose est plénitude de conscience, pleine de soi/ du Soi.
Plus littéralement :
"Masse de conscience, pleine de soi, est toute chose"
(cité par Kshéma Râdja à la suite de la citation précédente)
Et donc la conscience est à la fois atemporelle et temporelle. C'est elle-même qui se manifeste comme devenir, c'est-à-dire à travers les apparitions et les disparitions de myriades de choses, cette vaste vibration en elle-même, comme une palpitation universelle. C'est ce que nous fait voir l'expérience de chaque instant. Il suffit de le reconnaître. C'est la conscience universelle qui se manifeste comme personne. C'est elle qui lit ces lignes. C'est à elle de se reconnaître.
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