mercredi 1 septembre 2021

Heureux rien !


 
Quand je dis que la lumière ne se peut voir en soi, je dis vrai : car
cette divine lumière est si pure, qu’elle ne peut être aperçue, c’est
plutôt un moyen par lequel on voit et on a une autre chose, que de
pouvoir dire qu’on la voit et qu’on l’ait. Vous voyez par la lumière
du soleil les objets, mais elle-même, étant fort pure, est invisible, et
vous ne la pouvez discerner qu’étant rempli d’atomes, si bien que
ce sont les objets qu’elle fait voir et ce n’est pas elle-même qui proprement est vue. J’ai parlé tant de fois de cette divine lumière que je ne vous en veux pas parler davantage ; vous pouvez avoir recours
à ce que je vous en dis autre part.

Tout cela étant très vrai, comme les âmes d’expérience vous en
peuvent certifier, il faut donc que vous vous contentiez de la soumission, et que sous cette voie vous marchiez à grands pas en vous perdant sans relâche, croyant que c’est vous trouver que de vous perdre, et que c’est vraiment posséder toutes choses que de n’avoir rien, ce divin Rien étant opéré par la miraculeuse et mystérieuse lumière divine ou lumière de foi.

Heureux Rien, que ta plénitude est grande, [324] à la charge que
jamais on ne te possédera, mais plutôt que tu posséderas l’âme, en
la perdant en ton vaste sein et en ta plénitude infinie ! Bienheureux
Rien ! Puisque après la lumière de gloire, une âme ne peut jouir de
Dieu plus à l’aise, ni en plus grande plénitude et en liberté plus
générale, que par ton moyen. Bienheureux ! Car en toi seul on peut
trouver Dieu sans crainte de Le perdre et sans soin de Le retenir, et
sans peine de Le posséder, puisqu’en vérité on Le trouve en toi sans
fond ni rive, c’est-à-dire on Le trouve Lui-même. Bienheureux !
D’autant qu’en toi se trouve toute joie, non des sens ni de l’esprit
(car il y aurait quelque chose et non ce rien parfait et entier). Mais
en Dieu, donc par Sa miséricorde, nous sommes capables de jouir,
non en nous, mais hors de nous. Ainsi qui dit jouir de Dieu hors du
rien, c’est-à-dire en la chose même la plus relevée que l’on peut
comprendre, ce n’est pas arriver à ce que Dieu nous a destiné, et ce
à quoi Il nous appelle : c’est pour Lui seul qu’Il nous a créés, et ainsi
Il nous a fait capables de Lui seul par le Rien et dans le Rien.
Heureux Rien donc, par lequel nous jouirons de Lui, et par le
moyen duquel nous arrivons à cette merveilleuse et miraculeuse
grâce ! Heureux Rien enfin, qui nous rend capable de jouir et de
vivre en Dieu aussi bien en agissant qu’en contemplant ! C’est vraiment en toi et par toi seul que nous devons nous perdre et nous
abîmer en Dieu, pour ne nous retrouver jamais, ni aucune chose
créée, sinon lorsqu’elles nous serons devenues le tout, même par
ton moyen !

Jacuqes Bertot, Le Directeur mystique, 1726

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