"Le troisième silence se fait en Dieu, quand notre âme toute entière se transforme en lui et goûte pleinement sa douceur ; elle s'y endort comme en un cellier et se tait sans désirer davantage. Elle s'endort elle-même, oubliant la faiblesse de sa condition, puisqu'elle se voit si bien formée en Dieu auquel elle est unie et revêtue de sa lumière, comme un autre Moïse après avoir pénétré dans le brouillard de la montagne, mieux encore comme Saint-Jean après la Cène, quand il inclina sa tête sur le cœur du Seigneur et qu'ensuite il garda le silence sur tout ce qu'il apprit et comprit.
Il arrive dans ce troisième état de silence que l'entendement est à ce point fermé ou plutôt occupé, qu'il ne comprend rien de tout ce qu'on lui dit, qu'il ne juge rien de ce qui passe près de lui et qu'il ne perçoit rien, bien que ses oreilles entendent. A ce sujet, un vieil homme que je confessai me dit en grand secret qu'il suivait cet exercice depuis plus de cinquante ans et il ajouta, entre autres mystères, qu'il lui arrivait souvent d'entendre les sermons ou propos sur Dieu sans en comprendre une parole. Son entendement était si muet ou si occupé en son intérieur qu'aucune chose créée ne pouvait se former en lui. Moi je lui disais qu'il devait alors se retirer, mais il me répondait que les voix étaient comme la musique de l'organe, son âme y prenait plaisir, bien que sans comprendre, comme s'il composait sur elle un contrepoint et louait le Seigneur d'une manière que l'on ressent, mais que l'on ne peut rendre sensible aux autres.
Il ne t'est pas demandé dans ce traité de faire taire ton intelligence, mais ton entendement. D'après Richard de Saint-Victor, la compréhension des choses invisibles appartient à l'intelligence pure, et l'intelligence pure, c'est l'entendement fixé sur une vérité suprême sans mélange d'imagination. Mais pour en arriver là il faut apprendre à rassembler le troupeau dispersé d'Israël, c'est-à-dire ton entendement en lui imposant le silence. Il te faut réduire avec soin les errements de ta mémoire et t'habituer à demeurer dans l'intimité de toi-même, dans l'oubli des choses extérieures, lorsque tu te travailles pour la contemplation des choses du ciel et que tu soupires pour l'expérience des choses divines.
(...) Ne tient pas ton entendement pour indomptable au point de ne vouloir croire que ce qu'il comprend, car ainsi tu ne sauras que peu de choses.
(...) L'entendement cessant de spéculer, la volonté qui engendre l'amour fait irruption avec grande puissance. Ainsi les recueillis provoquent Dieu devant eux et pensent qu'il est mesquin de chercher des raisons d'aimer celui qui est tout amour. Au contraire ils disent que c'est cela qui devait être fait est que nous ne faisons qu'exécuter ce que disent ces raisons, comme ceux qui se sert des règles de leur art sans les expliquer ni leur prêter attention.
Considère que ce ne rien penser est plus que ne le disent les mots. Il n'est pas possible d'expliquer ce qu'il est, car Dieu vers qui il tend n'est pas explicable, au contraire je te dis que ce rien penser est tout penser."
Francisco de Osuna, Le Recueillement mystique, Cerf, trad. Michel Darbord, pp. 157-161
J'aime bien le rasa de l'histoire du vieil homme...
RépondreSupprimerSon exercice spirituel en contrepoint a la saveur de la liberté et un discret parfum de joie.