Le śivaïsme non-dualiste
distingue trois moyens pour atteindre la plénitude de la liberté.
Le dernier est le yoga et la
pratique rituelle.
L'intermédiaire est la
philosophie.
Le premier est l'absorption
mystique dans la volonté, définie comme pur élan avant toute pensée.
Ce dernier moyen est ce que
les mystiques chrétiens du pur amour comme Benoit de Canfield ont appelé
volonté essentielle. Ce moine d'origine anglaise écrit ceci à Paris, dans les
dernières années du XVIe siècle :
"Cette volonté
essentielle est purement esprit et vie, totalement abstraite, épurée
d'elle-même, et dénuée de toutes formes et images des choses créées,
corporelles ou spirituelles, temporelles ou éternelles, et n'est appréhendée
par le sens ni par le jugement de l'homme. (Elle est) ainsi hors de toute
capacité et par-dessus tout entendement des hommes, pour ce qu'elle n'est autre
chose que Dieu même; elle n'est chose ni séparée, ni encore jointe, ni unie avec
Dieu, mais Dieu même en son essence. Car cette volonté étant en Dieu, il
s'ensuit qu'elle soit Dieu, puisqu'en Dieu il n'y a que Dieu."
Règle de perfection, 3e partie, I, p. 269, édition de 1632
Abhinavagupta n'aurait pas
parlé autrement. Il y a bien une expérience mystique par-delà les dogmes
religieux, n'en déplaise aux dogmatistes; comme ceux-là, qui veulent faire
passer Canfield pour propriété exclusivement chrétienne, comme si le Christ était la seule "porte". Alors que Louis Cognet note que dans ce texte "il n'est presque pas question du Christ" ! (Hist. de la spiritualité chrétienne IV, p. 248)
Mais avant ce premier moyen de
l'élan essentiel, avant même ce pur amour sans images aucunes, il y a un
"moyen sans moyen", correspondant au moyen sans moyen (anupāya,
alpopāya, ānandopāya, ātmopāya) du śivaïsme non-dualiste :
"Moyen, dis-je, sans
moyen. Car tenez pour assuré que nul acte, méditation, pensée, aspiration ou
opération profitent ici, nul discours, exercice ou enseignement, nul moyen doit
ici moyenner entre l'âme et cette volonté essentielle ou essence de Dieu; mais
cette seule fin, sans aucun moyen, nous doit attirer à elle, et nous élever à
l'heureuse vision et contemplation d'icelle (...) En ce lieu, la plus excellente
spéculation, comme de la Trinité ou autre, doit être laissée, suivant le
précepte de Saint-Denis, non qu'elle ne soit bonne ou noble, mais pour ce qu'il
y a une plus haute capacité en l'âme, par laquelle seulement le suprême des
esprits est très excellemment atteint."
Règle de perfection, 3e partie, II, pp. 277-278, 1632
Peut-on décrire plus pure expérience
de la non-dualité ? Je rappelle que cet homme n'a pas vécu il y a mille ans en Inde,
mais il y a 400 ans à Montmartre.
La non-dualité est véritablement
une expérience de liberté. Voilà pourquoi elle défie les temps, les lieux et les
dogmes.
Ce texte est accessible sur internet
ou dans une excellente édition chez Arfuyen.
Merci je ne connaissais pas (j'en ferais un post une fois reçu l'édition d'Arfuyen).
RépondreSupprimerParfois l'expérience au-delà des dogmes religieux conduit à les rejeter et parfois à les réinterpréter. L'un n'est pas exclusif de l'autre, et souvent chez un même auteur on trouvera à la fois rejet et réinterprétation
(rejet qui concernera non seulement l'interprétation initiale mais la possibilité même du discours).
Le terme de catholique, par exemple, s'entendra à la lettre comme "universelle" idem pour l'affirmation de la nécessaire médiation du Christ qui ne signifie plus la nécessité de l'appartenance à une église chrétienne mais seulement la description d'un processus, celui, par exemple, de la naissance de Dieu dans l'âme et de l'âme en Dieu.
Pour un mystique le fait d'appartenir à un courant spirituel, de s'en nourrir ou de le nourrir, ne signifie pas qu'il s'enferme dans quoique ce soit, son universalité n'est pas restreinte par les formes (ouvertes ou transparentes) qu'il emprunte.
On pourra donc aussi bien le dire chrétien (hindou, musulman, ...) qu'universel.