Comte-Sponville est un philosophe estimable. Sincère, il n'a pas honte d'avouer qu'il pratique la méditation. Son idée est que l'existence, telle qu'elle, à l'état brut, est mystique. Nul besoin de Dieu. Ce qui n'est pas faux. Et le sexe ? Il fait partie de l'existence brute, oui ou non ?
Il vient de publier un livre sur ce que les philosophes disent de la sexualité. Le constat est négatif : plus on est chaste, mieux on se porte.
Van Eersel, qui l'interroge dans la très chic revue "Nouvelles clés", lui demande :
"Les sages orientaux ne voient-ils pas les choses différemment de nos philosophes ?"
A quoi notre estimable philosophe répond : "à l'exception notable du Kama Sutra et de certains textes taoïstes, ils demeurent souvent, au sujet de la sexualité, réticents ou circonspects".
Quoi ? Comment ? Et le tantrisme alors ? Et les textes sur kāma ? Car enfin, il n'y a pas que le Kāma-sūtra ! Et Bābhravya ? Et Mīnanātha ? Et Kalyāṇamalla ? Et tant d'autres !
Comte-Sponville ajoute :
"Quant à ceux qui font de l'érotisme une voie religieuse, ils ne m'ont jamais convaincu."
Peut-être fait-il allusion au tantrisme ? Auquel cas il se trompe. Car le tantrisme donne seulement au sexe l'importance qui est la sienne dans nos vies. Pas plus, pas moins. En tous les cas, Comte-Sponville ne semble jamais avoir entendu parlé d'Abhinavagupta ou d'un maître bouddhiste comme Mipam qui, moine de son état, n'en composa pas moins le premier texte sur les arts de l'amour en tibétain au début du XXè siècle. Il est vrai qu'il n'existe pas grand-chose en français sur le sujet. Mais il serait temps que les Français se mettent à l'anglais !
Du reste, Comte-Sponville a sur le sexe le même jugement que Platon et les religions du Livre : "Le sexe est foncièrement amoral parce qu'il est égoïste, avide, irrespectueux, parfois violent, toujours transgressif." Cela est sans doute vrai pour les gens qui, comme Comte-Sponville, ont reçu une éducation chrétienne ou puritaine. Mais pour les autres ?
Rien n'en dit plus long sur la force des préjugés que d'entendre un philosophe lutter contre les siens.
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