Daniel Dennett est l'un des plus grand philosophes en philosophie de l'esprit, ce courant né au croisement de la philosophie analytique et des neurosciences.
Selon lui, la conscience est une illusion. Elle n'est que le produit de l'interaction d'un grand nombre de micro-machines dépourvues de conscience. Elle fonctionne comme illusion parce que nous sommes aveugles au changement et parce que nous avons peur de voir les choses en face.
La conscience n'est donc pas un mystère, elle est une illusion.
Face à ces hypothèses illustrées par des expériences, l'adepte de la non-dualité serait tenté de dire que Dennett est un matérialiste et qu'il confond la conscience avec les pensées, etc. Notons, au passage, qu'il est curieux que la non-dualité doive passer par l'établissement de la dualité entre la conscience pure et ses objets... mais c'est une autre question.
Voici l'une de ses présentations expériences à l'appui, sous-titrée en français, :
Mais Dennett n'oublie pas la conscience. Simplement, selon lui, une fois la mémoire, la pensée, le jugement, la perception, etc. expliquées, il ne reste plus rien à expliquer. On appelle cela le fonctionnalisme. Expliquer la conscience, c'est expliquer ses différentes fonctions, fonctions auxquelles la conscience se réduit, tout comme connaître le feu, c'est seulement connaître ses propriétés telles que brûler, chauffer, éclairer, etc.
Dennett se décrit comme un matérialiste athée.
Faut-il pour autant le reléguer dans la catégorie des gens qui n'ont rien compris et qui ne peuvent rien nous apporter ?
Je ne le pense pas. Pour au moins deux raisons.
La première est que la pensée de Dennett rappelle furieusement celle du Bouddha, même si Dennett n'est pas bouddhiste. Comme l’Éveillé en effet, il démystifie ce que chacun croit être un mystère ou une évidence : "je suis, j'existe", "je suis le mieux placé pour savoir qui je suis". Comme le bouddhisme et la science, il pense qu'il faut aller contre l'intuition, c'est-à-dire à contre-courant des croyances les mieux établies.
Or, le bouddhisme est l'une des expressions les plus abouties de la non-dualité. Et une véritable spiritualité. Mais ce n'est pas une non-dualité métaphysique, contrairement à celle de Shamkara qui affirme que "Je suis l'absolu", "Le Soi est l'absolu" sur la base de raisonnements hypothétiques. De même, le bouddhisme est réductionniste, matérialiste en un sens (le moi est moléculaire), mais pourtant spirituel, sans aucun doute. Comment expliquer cela ?
La seconde est que Dennett est l'un des seuls philosophes qui prenne Douglas Harding au sérieux, puisqu'il l'a inclus en introduction de son livre Vues de l'esprit. L'une des plus ardentes admiratrices de Dennet, Susan Blackmore, parle aussi de son expérience de la Vision Sans Tête dans son Zen and the Art of Consciousness. Elle pratique la méditation depuis des dizaines d'années. Mais elle ne croit pas au paranormal (après avoir été chercheuse dans ce domaine puis avoir démissionné), ni à une après-vie, ni en une conscience pure sans objets etc.
Ne faut-il pas en conclure que l'on peut être matérialiste/naturaliste/fonctionnaliste tout en ayant une véritable vie spirituelle ?
Très intéressant billet David.
RépondreSupprimerSusan Blackmore est souvent citée par les sceptiques.
ET il faut de toute urgence que je lise ses livres.
Merci pour toutes ce pistes de réflexion et de lectures.
Il me semble toutefois que Bouddha a abordé plusieurs fois certains aspects paranormaux, liés au karma et aux vies antérieures.
RépondreSupprimerOn pourra objecter qu'il adaptait son discours à qui l'écoutait, mais je pense toutefois qu'il faut prendre la théorie présentée ici à l'envers : la conscience est partout et fait partie intégrante de la matière. Il me semble d'ailleurs possible qu'avec les éléments nécessaires une machine fasse émerger une conscience.
Sinon, j'ai du mal à comprendre comment l'Eveil pourrait procurer le moindre bonheur, s'il ne s'agissait que de comprendre que la conscience n'est qu'une illusion. N'est-ce pas une vision nihiliste dénoncée, notamment, par Nagarjuna ?
Je n'ai pas dit qu'il n'y avait pas d'éléments "paranormaux" dans le bouddhisme !
RépondreSupprimerDans votre deuxième paragraphe, vous passez d'une affirmation sur le bouddhisme à une thèse personnelle : que la conscience enveloppe tout. Mais alors, n'est-il pas contradictoire de dire juste après qu'elle peut émerger d'une machine - ce qui est précisément la thèse matérialiste ?
Vous avez du mal à comprendre que l’Éveil puisse procurer quelque bonheur s'il ne s'agissait que de comprendre que la conscience est une illusion, dites-vous. Mais il s'agit pourtant bien de cela. Et c'est toute la difficulté de comprendre le dharma, du moins dans sa version "ancienne". Ce n'est pas du nihilisme : il ne s'agit pas de dire que la conscience n'existe pas, mais plutôt qu'elle n'est pas ce qu'elle semble être (une entité permanente, indépendante des circonstances et notamment du corps).
Je me suis certainement mal exprimé : quand je dis que la conscience peut émerger d'une machine, j'entends par là qu'elle puisse s'exprimer, une fois le matériel et logiciel nécessaire en place. Il en va de même, je pense, du cerveau : la conscience est toujours là, mais a besoin de canaux d'expression.
RépondreSupprimerQuant à votre affirmation sur l'Eveil, elle me semble risquée. Seul un être éveillé peut parler de l'Eveil, et ses mots sont alors bien limité pour dire ce qu'est l'Eveil, ou ce qu'il n'est pas.
Si la conscience est indépendante, pourquoi aurait-elle besoin d'une machine ? Par ailleurs, il est intéressant de noter que tous les "fonctionalistes" (Dennett ou le Dalaï Lama, entre autres) croient en la possibilité d'une conscience artificielle. Alors que les "dualistes" (ceux qui pensent que la conscience ne se réduit pas à ses fonctions ou à une entité physique) comme David Chalmers, croient qu'une telle machine imitant parfaitement un comportement conscient ne serait qu'un zombie dépourvu de conscience.
RépondreSupprimerPour l’Éveil, je m'appuie sur les paroles attribuées à l’Éveillé - dans leur version "ancienne", ce qui équivaut plus ou moins au canon pâli. Je ne parle ici de rien d'autre.
Mais, juste une dernière remarque : si seul un Éveillé peut dire ce qu'est l’Éveil, comment le savoir ? Qui décide que seul l’Éveillé peut (= a le droit) d'en parler ? Ce n'est là, au fond, qu'un argument d'autorité.
Je suis à une période de ma vie où mon questionnement rencontre les thèmes de votre blog.
RépondreSupprimerC'est à la fois avec plaisir, émerveillement et stupeur que je vous lis.
L'étendue de la remise en question est proportionnelle à l'état de mon ignorance.
Merci pour ces moments de lecture et de réflexion.
Konrad.
david dubois : " il est curieux que la non-dualité doive passer par l'établissement de la dualité entre la conscience pure et ses objets... mais c'est une autre question. "
RépondreSupprimerje ne trouve pas cela vraiment curieux , enfin je trouve cela plutot curieux que l'on trouve cela curieux , si ce n'est pour faire parler les curieux ... ce qui ne serais pas etonnant ..
quoi qu'il en soi ce qui est simple et evident c'est qu'on ne peus parler d'une conscience-pure ( sans objet ) sans en faire un objet ( amusant non ? ) ... on peus rester indéfiniment ( souvent par vocation ou comme gagne pain ) a ce niveau pedagogique "a saisir".. et ignorer la nature de la conscience , puis affirmer , qu'en faite il n'ya pas de conscience .. seulement des mecanismes et des fonctions de "saisie" ...... et c'est juste , c'est simplement que le regard , n'est pas retourné sur lui meme .. il est simplement fixé sur les objets , fonction , mecanisme
une fois le regard retourné sur lui meme .. en ayant laisser simplement l'objet tel quel , sans analyse , pointé vers et disparaitre dans , cela qui le contient et le percois , bref sans rien faire .. alors la conscience est connu , vecu , dans sa nature sans objet ..
il ya encore "fonction" .. par exemple l'horloge ( biologique ) fonctionne ( ou pas ) , mais cela est vécu comme une expression temporaire , sans dualité ( ou sans barriere, imaginaire ) depuis l'intemporalité de la conscience .. de meme que le corps , la forme .. apparais encore .. mais est vécu , comme expression passagere , non-duelment , depuis la nature sans forme de la conscience .. enfaite cela a toujours etait vécu ainsi , .. mais c'etait simplement occulté .. par les habituel mecanismes de saisie de jugement de reflexion et d'analyse mental individuel ou/et collectif ...
j'ai vu la video de Dennett sur l'inattention de la conscience, mais je ne vois pas bien en quoi cela peut nous conduire à dire que la conscience est un produit des neurones.
RépondreSupprimerQuand au bouddha, il ne me semble pas que dans les textes pali, il se prononce sur un fondement ontologique de la conscience soit spiritualiste soit naturaliste; il a toujours refusé de le faire. Il s'est prononcé sur le fonctionnement de notre esprit pour montrer que l'idée d'un moi est une illusion.
Il est vrai que Dennett cite Harding mais c'est plutôt pour prendre ses distances avec lui.
josé le roy
Mais précisément José, Dennett se refuse aussi à poser un fondement ontologique unique. C'est justement pour cela qu'on le qualifie de fonctionaliste. Il n'y a pour lui que des enchaînements de causes et de conditions (dont les neurones). Pour le Bouddha - même "ancien" me semble-t-il -, vacuité=coproduction conditionnée. Or le corps matériel figure parmis ces conditions. Nâgârjuna a raison. Le Bouddha ne se contente pas de garder le silence (Panikkar a tord), il répond et explique le "mystère" du Soi par la coproduction conditionnée. Une fois les causes et les conditions révélées, tout est dit, il ne reste plus de Soi, pas de résidu ontologique ou autre, seulement la coproduction conditionnée. Il est fonctionaliste, tout comme Dennett. Le grand mantra du Grand Ascète pourrait être repris par Dennett : "Les phénomènes ont une source qui est leur cause. Cette cause, le Grand Ascète l'a dite". Voir l'explication de ce mantra célèbre, attribuée à Nâgârjuna, ici :
RépondreSupprimerhttp://gretil.sub.uni-goettingen.de/gretil/1_sanskr/6_sastra/3_phil/buddh/nagdhdbu.htm
Par rapport à D. Harding, il est vrai que Dennett récuse l'approche en première personne.