Le Bouddha a montré la voie vers le nirvāṇa, dit-on.
Mais c'est quoi, le nirvāṇa
? Une extase sans fin, une dissolution du moi dans le Grand Tout, une union à Dieu qui ne dit pas son nom ?
Eh bien, en réalité, ce n'est pas une chose - ce n'est
rien, donc. Ou plutôt, puisque c'est tout de même une expérience, il faut
préciser que c'est une négation. D'ailleurs, nirvāṇa
désigne littéralement l'extinction d'une flamme faute de combustible. Une
métaphore de la cessation. Faute de désir, de "soif", l'esprit - la
personne - disparaît. Où ? Sur place, telle une ultime flamme.
On voit la difficulté. Le piège. Car, sans même nous en
apercevoir, sans l'avoir décidé, nous avons fait de cette négation une chose.
Dans Alice au pays
des merveilles, on demande à Alice si elle voit des personnes sur la route.
Elle répond, comme le Bouddha après son éveil : "je ne vois
personne". Et on lui répond - comme nous ne cessons de le faire depuis
l'éveil de l'Eveillé - "Ah, si seulement j'avais des yeux pareils ! Être
capable de voir "Personne" ! Et à distance, en plus ! Alors que moi,
en pleine lumière, je ne vois que des personnes !"
Il faut dire que la langue française complique les
choses, avec l'équivocité du mot "personne"... En anglais du moins,
la chose est claire sans doute : "I see nobody". "Je vois pas-un-corps". Pas si clair, de fait... Dès lors, trompé par le langage, on a vite fait de
passer à "Je vois le Non-corps". Et, de là, on passe au Non-né, à
l'Immortel, à L'Inconcevable, etc. Au lieu de dire "je ne vois rien",
on dit "je vois le Rien" ou, pire (?) "je vois
l'Invisible". Au lieu de dire "je ne saisi rien", on dit
"je saisi l'Insaisissable".
De là une réaction en chaîne, une
coproduction conditionnée verbale qui n'en finit pas de finir de faire tomber ses
dominos farceurs. Parfois somptueusement, au reste. C'est aussi une variante du
syndrome du sparadrap, dont la victime la plus distinguée fût sans doute le
capitaine Haddock. En Occident, Wittgenstein en a parlé (voir cet excellent article
par mon collègue du lycée Condorcet), après Damaskios (encore un brillant émigré
syrien) et tant d'autres... Un penseur aussi aguerri que Raimon Panikkar a ainsi pu interpréter le Silence du Bouddha comme une forme d'expression de la transcendance. L'autre Raymond, Devos, nous a fait rire de trois fois rien.
Parler pour ne rien dire par lylybel
Parler pour ne rien dire par lylybel
ça peut pas se dire par cfclint
Ceci su, ne peut-on en jouer, en effet ? La voici, l'Idée du Grand Véhicule ! Apprenti-sorcier ou génial magicien, qui est le bodhisattva ?
Quoi qu'il en soit, n'est-il pas évident que, regardant
vers ici, en plein centre de ce qui regarde là-bas, je ne vois aucun corps (no body) ?
P.S. : Voici une entrevue fictive et néanmoins intéressante entre Wittgenstein et Douglas Harding (en anglais).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Pas de commentaires anonymes, merci.