Quand je vois que tout va et vient dans l'espace translucide de la conscience, je vois qu'il n'y a pas de "moi" séparé de cet espace. Rien n'est séparé de lui, de même qu'aucune vague n'est séparée de l'océan.
Mais alors que devient la personne ? Et les rapports entre les personnes ? L'amour ?
Difficile de répondre, de mettre des mots sur cette expérience si simple, cette reconnaissance de l'océan par lui-même, pareille à de l'eau versée dans de l'eau... C'est ridiculement simple. Ineffable par excès de simplicité. Il n'y a pas d'évènement grandiose. Un voile s'efface pour ainsi dire. Un je-ne-sais-quoi de confusion laisse la place à une netteté de corps et de cœur à couper le souffle. Comme un souffle d'air vif en pleine face. Une super-pastille Vicks.
Pour autant, la personne cesse t-elle d'avoir de la valeur ?
Il est vrai qu'il n'y a plus d'entités séparées. Distinctes oui, comme les vagues ; mais unies de fait dans un seul et même mouvement.
Plus d'individu.
Mais les traits individuels, les penchants, les plis, les marques singulières demeurent. Du reste, elles demeurent aussi dans les choses : tout paraît unique, neuf ; chaque chose brille en sa nudité et en son unicité, comme un corps juvénile à l'aube du premier jour.
A fortiori, chaque personne - si l'on veut appeler ainsi un ensemble singulier d'habitudes - est reconnue immédiatement en sa fraîcheur incomparable. Chaque personne est donc précieuse, rare - absolument rare. Irremplaçable. Digne. Digne d'attention, donc d'amour.
La vie en cette lumière simple, l'existence sans personne aux commandes, ce n'est pas être une poussière dans un parking de supermarché. C'est plutôt (excusez la tournure) comme être un grain de poussière dans une lumière de soleil couchant, une lumière chaude et chaleureuse qui baigne, qui peint, qui caresse chaque chose et l'illumine comme de l'intérieur, comme un cri "je suis toi ! je suis l'absolu ! je suis l'unique ! je suis le nouveau !" tout entier donné, éphémère, évanescent, glorieux, banal, glorieux dans sa banalité, élevé dans son humilité.
Dieu s'est fait homme pour que l'homme se divinise, c'est-à-dire se reconnaisse comme lumière en laquelle tout et tous on le mouvement, l'être et la vie.
Mais qu'en est-il de la morale ?
La morale est fondée sur l'empathie - souffrir avec les autres, se réjouir avec eux. Cette empathie est l'effet d'une reconnaissance partielle de l'unité de tous les êtres. Le voile de la séparation s'écarte de manière fugace. Or, la reconnaissance, c'est voir que ce voile n'a jamais été réellement présent. La reconnaissance est donc la rectification morale parfaite.
Mais l'individu qui a reconnu est-il parfait ? Non. Du point de vue de l'individu, il n'y aura jamais cette perfection achevée. L'individu est "indéfiniment perfectible".... parce qu'il n'est rien. Un perpétuel balancement entre l'ange et la bête.
Mais tout ceci apparait et disparait dans la conscience, de même que les beaux rêves et les cauchemars ne quittent jamais le champs du sommeil. Voir cela est une rectification radicale. Du point de vue de la première personne, il n'y a que lumière, transparence et perfection. On peut bien dire que tout cela n'est qu'un avant-goût de la vision béatifique qui suivra la mort. Cela change beaucoup - et cela ne change rien !
Le plus haut se révèle dans le plus bas. L'extraordinaire dans l'ordinaire.
D'une manière que je ne puis expliquer, la flaque d'eau boueuse en ce jour de pluie se dévoile être l'absolu même, unique, personnel, révélé et aussitôt effacé à jamais. Visage sans visage, visage qui accueille tous les visages.
Quand on voit qu'il n'y a personne, chaque personne est la Personne divine offerte... en personne.
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