Voir que personne ne voit change la personne et le monde.
Mais, à l'inverse, voir un monde différent change notre vision intérieure.
Changer le mental pour changer le monde.
Ou changer le monde pour changer le mental.
Ces deux approches se retrouvent dans toutes les cultures. Mais en général, c'est l'approche intérieure qui domine dans la philosophie, la méditation, la métaphysique et la morale, et l'approche extérieure qui domine dans la politique, l'art et la science.
Dans le tantra du corps et de l'espace, yoga non-duel du plein et du vide, ces deux approches coexistent et se combinent.
Le corps est comme un vase. Dans le cœur, il y a une lampe. Elle brille et irradie à travers les yeux. Ses illuminations fulgurent dans l'ovale du champs visuel. Le yogi voit la conscience, il/elle voit le Soi face à face, avec ses yeux de chair. L'intérieur se manifeste à l'extérieur, et en retour cet extérieur infuse l'intérieur, les deux s'interpénètrent, comme un cristal qui se dissout dans l'océan.
Interpénétration
Dans le yoga de Bhairava, l'approche intérieure s'appelle "yoga non-mental" (sanskrit : amanaska). L'approche extérieure, visionnaire, s'appelle "yoga qui sauve" ou "qui fait traverser, transcender, qui libère" (târaka).
Dans le yoga du Bouddha originel, l'approche intérieure s'appelle "larguer les amarres" (tibétain : trèkcheu). L'approche extérieure, visionnaire s'appelle "brûler les étapes" ou "passer le cap", transcender (theuguèle).
Ces yogas mettent tous deux l'accent sur le bien-être, l'absence (relative) d'effort, la relaxation, la détente, le lâcher-prise dans l'espace, la dilatation du corps tactile qui s'étale dans l'espace comme une tache d'huile. C'est la pratique principale du tantra, que j'ai décrite ailleurs et que je partage de temps à autre. Cette pratique est un immense plaisir, une joie incroyable. Quelle chance de pouvoir savourer ainsi l'espace sans aucune limite !
Ces deux approches s'opposent en un sens mais, en fait, leurs détails concrets sont à peu près les mêmes (postures, regards, suggestions sensorielles, évocations poétiques de lumière et d'immensité...). Malgré leur importance dans le tantra ancien, elles restent peu connues.
En général, on réduit le tantra à une pratique sexuelle, exclusivement tactile. Je ne nie pas que l'expérience sexuelle et tactile est importante dans le tantra. C'est indéniable. Le sexe et le langage sexuel sont omniprésents.
Mais il existe aussi cette double approche, plutôt visuelle, cette étreinte du corps et de l'espace. Bien sûr, le côté tactile est inclus dans cette expansion. Mais dans cette pratique spatiale et visionnaire, l'accent porte généralement sur le champs visuel, et secondairement sur les sons.
Il y a ainsi deux modèles dans le tantra : un modèle tactile et sexuel ; et un second modèle, visuel et visionnaire (à ne pas confondre avec les visualisations !).
Une exception notable est le tantra de La Roue du temps. Son yoga combine ces deux modèles : le yogi/ la yogini s'unissent à la sphère de lumière qui apparaît dans l'espace, à l'ovale translucide et parcourue de lumières diaprées que forme le champs visuel. Les instructions de ce yoga emploient à la fois le langage des visions lumineuses de l'espace, et la rhétorique sexuelle de la félicité, de l'irradiation tactile et de l'étreinte. La Roue du temps propose ainsi un nouveau modèle pour le tantra : une union sexuelle sacrée, non pas avec un partenaire visualisé, ni même avec un partenaire de chair et d'os, mais avec un partenaire visionnaire : le champs des visions qui ne sont rien d'autre que la manifestation de la Lumière consciente en sa nudité, la vacuité visible, la Mère universelle concrète.
Un livre superbe vient de sortir en anglais sur les traditions visionnaires dans le tantra bouddhiste. L'auteur fait le rapprochement avec les pratiques équivalentes du tantra de Shiva, mais sans approfondir.
Un site sur les visions spontanées, les "entoptiques", à ne pas confondre avec les hallucinations ou les rêves. En anglais mais très riche.
Une animation qui tente de montrer ce que l'on voit dans l'obscurité et dans ce yoga de l'union du regard et de l'espace. Ces nappes de lumière bleues, vertes, rouges sont le point de départ du yoga visionnaire :
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