Peut-on être heureux seul ?
Peut-on être heureux si les autres ne le sont pas ?
Peut-on être heureux si le reste du monde est plongé dans le malheur ?
Peut-on être heureux à Auschwitz ? Sous la torture ? En Syrie ?
Autrement dit, le mythe du bonheur par soi, indépendamment du monde et des autres, a-t-il un sens ? Est-il crédible ?
Les adeptes des psychologies du bonheur diront que oui, c'est possible, comme l'ont affirmé les bouddhistes et les stoïciens.
Mais dire que je peux être heureux quelles que soient les circonstances, n'est-ce pas profondément immoral ? Est-il juste d'être serein et plein de joie quand mes proches souffrent et meurent ? N'est-ce pas indécent ?
Et puis, est-ce possible ? Existait t-il des gens vraiment heureux dans les camps de concentrations ?
Les partisans du bonheur vont alors convoquer Etty Hillesum ou quelques autres figures, certes magnifiques, mais comment être sûr que ces gens étaient heureux ? Finalement, cette doctrine du bonheur par soi, du bonheur indifférent au sort du monde, est-elle praticable ? N'est-elle pas autre chose qu'une nouvelle religion qui ne dit pas son nom ?
Les partisans du bonheur m'accuseront peut-être de pessimisme, s'ils ne tiennent pas tout simplement un discours du genre : "Mais si, il faut y croire"...
Mais, comme je l'ai dit, il ne s'agit pas seulement de savoir si un tel bonheur par soi est possible, mais également s'il est souhaitable. Encore une fois, est-il juste de sortir le champagne quand on apprend qu'un proche va mourir, par exemple ? Et qui le fait ?
Mais si l'on renonce au bonheur par soi, quoi d'autre ?
Le sens.
L'amour.
L'amour ne craint pas la souffrance, et il n'exclut pas la joie.
Quoi d'autre ?
La foi, l'espérance, et le combat pour un avenir meilleur, pour ne pas retomber dans les erreurs du passé.
"Aimer ce qui est", cela va quand tout va bien, et même parfois dans l'adversité. Aimer ce qui est, quand je suis sur une plage en train de regarder les petits poissons, cela est juste. C'est un moment de grâce.
Mais comment aimer la torture, le viol des enfants, les massacres, comment aimer les camps de concentration ?
Je crois qu'il y a de l'acceptable, mais aussi de l'inacceptable.
Et que l'on ne peut pas être heureux seul.
Mais alors qu'en est-il de la "vibration du cœur", de la vie intérieur ?
Eh bien, elle ne vise pas le bonheur en cette vie.
Cette vibration nourrit l'amour, nous donne la force de se battre, d'aimer ce qui peut l'être et d'endurer le reste, mais aussi de nous indigner et de nous révolter quand il le faut.
"Aimer le destin" "être heureux en toute circonstance" : impossible et souvent injuste.
De la simple existence de l'ombre doit on déclarer la lumière immorale? Du fait que mon père est atteint d'un cancer puis-je déduire que ma santé est indécente?
RépondreSupprimerEn "Je Suis" est la paix. Le soleil brille dans le ciel bleu ou derrière les nuages. La paix n'empêche ni la bonne humeur ni la tristesse. Mais elle évite la noyade : je ne suis pas noyé dans la tristesse, il y a tristesse ; je ne suis pas noyé dans ma bonne humeur, il y a bonne humeur.
RépondreSupprimerEnsuite dans l'amour pur qui naît dans la paix du cœur, il y a la tristesse ou l'angoisse de l'autre qui soudain paraît nue sans filtre mais partager la tristesse ou l'angoisse n'est pas alors qu'un moment pour l'amour dans la paix rende l'ego plus intelligent.
Un pompier qui s'affolerait face à un cadavre ou à du sang ne peut pas porter secours, il doit au moins demeurer flegmatique malgré ses émotions. La paix intérieure donne au flegme une puissance de plus en plus forte.
Ainsi il y a une paix et une joie de l'amour transpersonnel qui n'empêche nullement de partager la tristesse, les rires mais aussi l'angoisse de mort, le deuil sans que cette paix éternelle et cette joie de l'amour pur en devenir ne vacille pour faire de l'ego un instrument juste. Car il y a des deuils qui cachent de l'égocentrisme : il y a des parents endeuillés par la mort d'un enfant qui négligent leurs enfants encore vivants ; il y a des gens endeuillés qui prétendent que nul ne peut être à leur place négligeant souvent le fait que celui qui leur parle a connu plus de deuil qu'eux... L'ego refuse souvent de laisser faire le deuil car l'ego égocentrique vit de l'amour du drame. L'ego endeuillé se refuse de s'abandonner à la lumière intérieure qui seule guérit les blessures de l'âme.
Face à des expériences de ce type, je me suis aperçu qu'il y des pessimismes qui sont de la désespérance vis à vis d'une perfection qui demande à s'incarner à travers nous dans et par la paix intérieure et la joie de l'amour.
Une image serait que le tableau est toujours parfait dans sa globalité : le tyrannosaure est un moment de la perfection du tableau mais dans le détail c'est un carnivore qui peut manger ses propres petits et qui n'a aucune idée de ce qui se trame dans le ciel qu'il ne contemple jamais... C'est de notre niveau de perfection actuelle que nous pouvons voir ceci. La beauté de l'univers ne peut jamais disparaître malgré l'horreur de certains de ses détails. Mais l'horreur d'un détail de l'histoire peut éveiller un nouvel élan vers un niveau de perfection plus intense, plus profond, plus à l'image de l'infinie perfection intérieure.
Il faut dire oui au dinosaure pour que se manifeste dans l'image même le nouveau niveau de perfection nécessaire. Aujourd'hui il faut faire face paisiblement aux réalités mettant en jeu l'imperfection humaine pour commencer à apercevoir simultanément ce qui en soi-même lui donne corps (car au fond le "charmant" diplodocus herbivore fait parie de l'écosystème qui comprend le tyrannosaure). Voir en paix le réel n'est pas l'aimer mais plonger dans la conscience la parfaite possible du réel (dont je ne suis pas individuellement détaché) ; aimer purement et radicalement est participer de plus consciemment à plonger le surréel dans le réel (de notre individualité y compris) usagé, insatisfaisant et pourtant rétif à son évolution.
J'aime beaucoup ce site et le travail effectué par son auteur notamment dans ses traductions du sanskrit au français.
RépondreSupprimerEn revanche, je reste circonspect par la question posée ici ou plutôt sur la manière d'aborder ce thème. Le bonheur, cela ne se contrôle pas. On est heureux ou on ne l'est pas.
Les règles morales n'ont absolument rien à voir avec le bonheur. Elles lui sont exogènes puisque fixées par la société. Le bonheur trouve son assise en soi.
Il est moral donc, ici, de manger les morts, et, quelques kilomètres plus loin, immoral de ne pas condamner le cannibalisme. Et l'on peut être heureux ou malheureux dans les deux cas.
Juste !
RépondreSupprimerJe suis tout à fait d'accord avec toi Serge.
RépondreSupprimerAmour et lucidité.
Et foi dans le progrès.
Par contre, je sais pas si la Théodicée convaincrait les bébés tyrannosaures ;)
David