mais il n'est pas quelque chose.
Omniprésent,
il reste insaisissable.
S'il n'y avait pas d'espace,
aucun corps ne pourrait exister,
privé d'extension.
Pourtant, quand nous essayons d'imaginer
ou de ressentir l'espace,
il se passe quelque chose d'étrange :
les images meurent,
les sensations s'ouvrent
jusqu'à se dissoudre,
comme des volutes de fumée;
A ce titre, l'espace est au cœur des approches non-dualistes.
Âkâsha vient d'une racine -kâsh, "briller".
On la retrouve dans Kâshî, autre nom de la ville de Bénarès.
Aussi dans prakâsha "lumière consciente",
et cit-prakâsha "lumière de la conscience",
"lumière qui est conscience".
Ainsi, l'espace est lumineux.
Il est l'espace en lequel les choses sont révélées,
en qui elles se font jour.
Éclosion, reclosion, mais toujours inclusion.
On a donc parfois traduit âkâsha par éther,
en référence à la substance transparente et lumineuse
dans laquelle habitent les dieux grecs.
Classiquement, âkâsha est "ce qui donne lieu" (avakâsha)
aux autres éléments (dhâtu, bhûta) : terre, eau, feu et air.
Parfois, il y a un sixième éléments : la conscience (jnâna-dhâtu), par exemple dans le bouddhisme tantrique,
élément ou principe
identifié au "bébé bouddha"
(buddha-dhâtu, buddha-garbha, buddha-gotra, etc.)
que chaque être conscient porte en lui.
Et dans ce cas, la voie spirituelle consiste à actualiser ce potentiel en l'unissant à l'espace : le corps-conscience s'ouvre peu à peu, se fond dans l'immensité.
Le bouddhisme donne une place absolument centrale à l'espace.
On peut même dire que la Grande Voie (mahâyâna)
est une voie de l'espace.
Selon les Soûtras de la Lucidité non-duelle (prajnâ-pâramitâ),
l'espace est la reine des métaphores.
Regarder l'espace, c'est ne rien voir.
Ne rien voir, c'est voir le réel.
Quand le mental ne voit rien,
il s'effondre et redevient lumière diaphane (prabhâ-svara),
lumière qui s'épanche en myriades de formes qui expriment l'espace,
trésor inépuisable de l'espace,
énergie d'amour qui se déverse sur tous les êtres
jusqu'aux confins de l'infini.
Le corps-esprit est ainsi le Trésor de l'espace.
L'espace est le Corps réel, permanent,
le Soi-Buddha (âtma-dhâtu, par exemple dans l'Angulimâlîya-sûtra)
qui mûrit en Corps de complète jouissance, pour soi,
et en Corps d'inépuisable magie, pour le bien des autres,
c'est-à-dire en vue d'une sorte de contagion.
Le mental douloureux est cette même énergie contractée,
comme une crampe dans l'espace.
L'éveil est cette crampe relâchée,
le bébé Bouddha se nourrit de l'attention à l'espace,
les yeux grands ouverts,
l'énergie s'unit à l'immensité,
le Bouddha éternel embrasse
la vaste Matrice.
De même, les émotions irradient
en expériences de l'éveil indicible.
L'attachement se transmute en amour,
la colère en clarté,
et ainsi de suite.
De même, dans la tradition (certainement inspirée en partie par le bouddhisme)
de la Danse de Kâlî (kâlî-krama), la Déesse-conscience
est gauche et maladroite (vâmâ) quand elle ne se reconnaît pas.
Le mental est alors aliment de séparation, le corps
ne perçoit qu'hostilité.
Mais reconnue, la conscience se vomit elle-même (vâmâ)
en elle-même, elle plane en sa propre ouverture
et recouvre sa beauté (vâmâ).
Chaque espace sensoriel est une bouche,
une ouverture céleste par où
l'indicible se dit,
se déverse, s'écoule dans l'immense,
vacuité "sans nature propre" (nih-svabhâva).
Tout jaillit dans le séjour sans limites (kha).
La souffrance (duh-kha)
est alors transmutée, peu à peu,
en plaisir (su-kha).
En résumé : inconscient de l'espace,
même le meilleur est insipide ;
en conscience d'espace,
même le pire porte une saveur
de plaisir profond.
"Shiva est même dans la douleur..." dit le maître
Félicité-de-Shiva (Somânanda).
Car au fond de toute douleur,
il y a une expansion de l'énergie dans l'espace.
Mais quand la conscience s'éveille à cela,
l'expansion devient exponentielle.
Les Oupanishads (le Védânta) n'ignorent pas l'espace.
Dans l'espace du coeur, c'est-à-dire dans l'intellect (buddhi),
brille le Soi, atemporel, somme de tous les plaisirs possibles,
dont chaque plaisir empirique n'est qu'une parcelle.
L'espace est l'Immense.
L'Immense est plaisir.
L'espace (kha) est plaisir (kâma).
C'est le secret de la tradition Kaula.
L'espace est la grande pratique,
la méditation inévitable,
le remède, le nectar,
la source de prodiges innombrables,
indénombrables, incommensurables.
La Reconnaissance semble donner un peu moins d'importance à l'espace, parce qu'elle va au-delà de la Lumière, jusque dans le Cœur, le Frémissement, spanda.
En tous les cas, l'espace reste la base de la voie,
cultivée dans la méditation de Shiva (shiva-mudrâ),
voie principale du shivaïsme non-duel.
Quoi qu'il arrive,
cela arrive dans l'espace.
Méditation, yoga, rituel : célébrations de l'espace.
Espace vivant, vibrant, palpitant, chantant, mélodiant, rythmant :
vie de l'espace
vibration de l'espace
palpitation de l'espace,
chant de l'espace,
mélodie de l'espace,
rythme de l'espace
Le corps-esprit n'est plus dans l'espace :
il est l'espace lui-même.
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