dimanche 3 mars 2019

La voie du temps, voie de l'instant

la Triade ; Dieu, allongé sous les Déesses, représente l'Être pur. Car la conscience (désir, pensée et action) est la source de l'Être, lequel n'est rien sans conscience

La voie du Temps dans le shivaïsme du Cachemire
est présentée en premier, avant celle de l'Espace.
Pourquoi ? Parce que le Temps manifeste davantage l'aspect Shakti que l'aspect Shiva. Or Abhinava Goupta, dans sa Lumière des Tantras comme dans son Explication du Tantra de la Déesse Suprême, souveraine de la Triade, parle de la Déesse en premier.

En apparence, la voie du Temps consiste à réaliser progressivement que le Temps existe seulement dans la conscience atemporelle. 
Ainsi la conscience s'éveille, se réveille - car elle 'nest jamais complètement endormie, sans quoi aucun égarement ne serait possible. Comme un feu qui couve sous la cendre, elle s'éveille et "dévore le Temps", le Temps qui est la Mort (même mot en sanskrit : kâla).

La conscience atemporelle prend conscience d'elle-même pleinement, toujours déjà et à jamais.
"Puis" elle se réalise comme pure inconscience, comme Vide au-delà même de l'absence de toute chose. Cette négation de soi initiale sert de "toile de fond" au reste de la manifestation. 
Puis elle devient vie, c'est-à-dire qu'elle commence à se manifester à travers des couples d'opposés, à commencer par l'inspir et l'expir, support vital de tous les conflits de la vie.

C'est donc la respiration qui sera l'objet de cette pratique.
Par l'attention au souffle et à l'intervalle entre expir et inspir, le souffle va ralentir, s'amenuiser puis se suspendre. C'est la progression du Temps vers l'Atemporel. 

Mais il n'y a pas séparation entre les deux. La conscience subtile, Atemporelle, n'est qu'un temps subtil, car la conscience est vibration, frémissement. Autrement, elle serait un néant inerte. La "dualité" sort de son sein et de nulle part ailleurs. La conscience grossière temporelle, le mental, est le ralentissement de la Vibration subtile. Comme une lave qui jaillit puis se durcit peu à peu. Comme l'eau et la glace. Deux états d'une seule et même substance. De plus, si la conscience ne restait pas présente jusque dans les états les plus "grossiers", ceux-ci ne pourraient se présenter. 

Plus profondément, la pratique du Temps la plus profonde est celle du Premier Instant. Le premier instant de n'importe quel choc émotionnel, avant toute séparation entre Bien et Mal, entre fuir et combattre, entre réussite et échec, entre agréable et désagréable...
Or, l'expression "Premier Instant" pourrait laisser croire qu'une fois ce premier instant passé, il est passé, il ne peut plus être savouré, expérimenté reconnu. 

Il faut donc préciser que ce Premier Instant est en réalité l'instant présent, c'est-à-dire le présent. Il ne passe jamais. En fait, il est synonyme de conscience. La voie du Temps est donc la voie de l'instant présent ou de la Présence. 

C'est aussi la voie du "Premier Instant du Désir", lié à la pratique du "yoga sexuel" ou de l'Offrande Primordiale (âdi-yâga) comme dit Abhinava.

Dans ce Présent apparaissent le passé et l'avenir. 
Cette enseignement s'inscrit dans le cadre de la tradition tantrique de la Triade (trika), centrée sur l'adoration de trois Déesses qui incarnent les trois aspects de la conscience : pure unité, unité-dans-la-dualité, dualité dans l'oubli de l'unité.

Le présent est le plan de l'unité pure, c'est la Déesse Suprême, qui donne son nom au tantra expliqué par Abhinava Goupta. 

Le passé est révolu, "le passé c'est le passé", c'est l'objet, jugé séparé de la conscience : c'est donc le plan de la Déesse Inférieure, celui de la dualité dans l'oubli de l'unité. C'est le régime conscient de l'égarement maximal, celui de la perception. Mais c'est le jeu de la conscience. La conscience de soi (vimarsha) devient représentation de soi ou des choses (vikalpa). Elle devient le mental en se contractant et en se scindant en couples d'opposés, soi et autrui, et ainsi de suite. Conscience et mental et corps : c'est la même vibration, le même mouvement immobile, mais plus ou moins ralentit.

Enfin l'avenir occupe une place intermédiaire : il est imagination. Le sujet, même identifié au mental, se l'imagine, mais garde une conscience, même confuse, que cela n'existe pas encore, que cela n'est que son imagination. L'avenir, qui est l'imagination, incarne donc l'unité-dans-la-dualité : il y a à la fois de la séparation (l'avenir n'est pas maintenant, il est plus ou moins éloigné), mais aussi de l'unité (cette image d'un possible apparaît maintenant ; si ce n'est pas le cas, alors ça n'est plus de l'imagination, mais une hallucination !).

Abhinava Goupta développe cet enseignement dans son Explication du Tantra de la Déesse Suprême, l'une de ses oeuvres les plus difficiles.
Par exemple, les trois Déesses correspondent au cycle lunaire. Chacun comprendra, je crois :)

Mais l'essentiel est simplement l'attention au présent,
à la Présence en laquelle tout se présente.

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