jeudi 16 juillet 2020

La spiritualité peut-elle se passer de politique ?

Michael Griffin

Une attitude courante, dans les milieux spirituels, est de rejeter la politique. Il suffirait de "travailler sur soi" pour changer le monde en mieux, par le truchement d'une mystérieuse influence.

Et si, vraiment, tout était lié ? Et si, comme le cosmos et l'homme sont proportionnés, de même, le politique et le psychique l'étaient aussi ?

Reste que la politique est peu intéressante, austère, pleine de vice, sans espoirs, remplie d'illusions.
A quoi bon perdre son temps, et peut-être son âme, à ces questions obscures et vaines ? Ne vaut-il pas mieux se concentrer sur soi ? N'est-ce pas abandonner un diamant pour une verroterie ? 

Cependant, il se pourrait que ce raisonnement soit erroné. En effet, la connaissance politique peut fort bien être envisagée comme une sorte de connaissance de soi, ou comme un outil de connaissance de soi. 
Comment ? Parce que la politique porte sur le groupe, la cité, la société. Et si la société n'était qu'une sorte d'humain, mais en plus grand ? Et si l'individu était une société, mais en plus petit ?

Si cela s'avérait vrai, alors il n'y aurait qu'une différence de degré, une différence d'échelle, entre la politique et la spiritualité. La science politique ne serait qu'un aspect de la connaissance de soi, et vice-versa. Si la société est comme un "grand individu", alors réfléchir à son organisation, c'est réfléchir sur soi. Inversement, qu'est-ce qu'un individu, si ce n'est une société faite d'individus encore plus petits, mais fort nombreux, dont l'individu cherche la meilleure organisation ?

Cette meilleure organisation, c'est la politique qui l'étudie pour la société, et c'est la spiritualité qui l'étudie pour l'individu. Et une société bien organisée, c'est une société juste, tout comme un individu bien organisé, c'est un individu en bonne santé. De sorte que l'on en vient à pressentir comment la politique pourrait ne pas être si éloignée que cela de la spiritualité. Ce sont deux aspects de la réflexion sur l'organisation, avec comme but l'harmonie - ici justice, là santé.  

Enfin, étudier la politique, entendue comme réflexion sur l'organisation collective, facilite la connaissance de soi, car le collectif est un "grand Soi", comme si l'on se regardait soi-même avec une loupe.

Telle est l'analogie que formule Socrate et la méthode qu'il en tire :

"Si, devant des gens dont la vue manque d'acuité, on disposait des lettres formées en petits caractères pour qu'ils les reconnaissent de loin, et que l'un d'eux s'avise que les mêmes lettres se trouvent ailleurs en plus grands caractères et dans un cadre plus grand, je crois que cela leur apparaîtrait comme un don d'Hermès de reconnaître d'abord les grands caractères, pour examiner ensuite les petits et vois s'il s'agit des mêmes. 
(...) Peut-être existe-t-il une justice qui soit plus grande dans un cadre plus grand, et donc plus facile à saisir (...) Nous effectuerons d'abord notre recherche sur ce qu'est la justice dans les cités ; ensuite, nous poursuivrons le questionnement de la même manière dans l'individu pris séparément, en examinant dans la forme visible du plus petit sa ressemblance avec le plus grand..."
(République, 368d-e, GF, trad. Leroux)

Autrement dit, étudier la société, c'est aussi s'étudier soi-même, mais à une échelle bien plus vaste, ce qui permet d'y voire plus aisément. 

La politique est donc cela : une forme grossie, mais non pas nécessairement grossière, de la connaissance de soi. Elle constitue donc un outil précieux et nécessaire. Croire que l'on peut faire l'impasse sur cet aspect des choses, à cause de sa complexité ou de son inutilité apparente, c'est donc commettre une grave erreur. 

1 commentaire:

  1. La politique existe-t-elle encore ? Tout n'est plus qu'histoire "com" et la parole n'a plus aucune valeur...

    RépondreSupprimer

Pas de commentaires anonymes, merci.

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...