Le précepte de Delphes fut, en effet, depuis l'Antiquité, l'un des piliers de la sagesse, au même titre que "Aimez-vous les uns les autres" le sera pour les Chrétiens. Il a donc été commenté par bien des maîtres anciens. Ainsi Porphyre l'a expliqué dans un commentaire dont on a conservé quelques fragments, dont voici un extrait :
"Apollon nous ordonne de nous étudier nous-mêmes moins
pour arriver à posséder la philosophie que pour atteindre un but plus relevé, en
vue duquel nous étudions la philosophie elle-même. En effet, si nous nous
appliquons à la philosophie, c'est parce que nous avons de l’inclination pour la
sagesse et que nous aimons la spéculation. Or, le zèle que nous mettons &
accomplir le précepte Connais-toi toi-même nous conduit au véritable
bonheur, qui a pour conditions l'amour de la sagesse, la contemplation du Bien,
laquelle est le fruit de la sagesse, et la connaissance des êtres véritables (10).
Dans ce cas, le Dieu nous ordonne de 617
nous connaître nous-mêmes, non pour nous livrer à l'étude de la philosophie,
mais pour arriver au bonheur par l'acquisition de la sagesse. En effet, trouver
notre essence réelle, la connaître véritablement, c'est acquérir la sagesse ;
or, le propre de la sagesse est d'avoir la science véritable de l'essence réelle
des choses, et la possession de la sagesse conduit au véritable bonheur (11).
III. [livre
IV.] Comme en descendant ici-bas nous revêtons l'homme extérieur, et que
nous tombons dans l'erreur de croire que ce qu'on voit de nous est nous-mêmes,
le précepte Connais-toi toi-même est fort propre à nous faire connaître
quelles facultés constituent notre essence. Platon, en mentionnant dans le
Philèbe le précepte Connais-toi toi-même, distingue trois espèces
d'ignorance à cet égard (12). L'ignorance de
soi-même est donc un mal sous tous les rapports, soit qu'ignorant la grandeur et
la dignité de l'homme intérieur (13) on rabaisse ce
divin principe, soit qu'ignorant la bassesse naturelle de l'homme extérieur on
ait le tort de s'en glorifier. C'est qu'alors on ne sait pas que la nature se
joue de toute chose mortelle,
Comme, sur les bords de la mer, un enfant
Qui a, de ses mains délicates, élevé des édifices de sable
Les pousse ensuite du pied et les confond en se jouant (14).
Qui a, de ses mains délicates, élevé des édifices de sable
Les pousse ensuite du pied et les confond en se jouant (14).
618
Ainsi, quiconque, par ignorance de
soi-même, exalte son extérieur glorifie plus qu'elle ne le veut la nature qui
l'a formé : car il admire comme des chefs-d'œuvre des choses que la nature fait
en se jouant, tandis que celle-ci parait estimer chacune de ces choses à sa
véritable valeur et ne partage pas l'erreur de ceux qui exaltent ses dons outre
mesure. Le précepte Connais-toi toi-même s'applique donc à l'appréciation
de toutes nos facultés, puisqu'il nous commande de connaître la mesure de chaque
chose. Ce précepte semble signifier qu'il faut connaître notre âme et notre
intelligence, parce qu'elles constituent notre essence. Enfin, nous connaître
parfaitement nous-mêmes, c'est tout à la fois nous connaître nous-mêmes
[c'est-à-dire notre âme], connaître ce qui est nôtre [c'est-à-dire notre corps]
et ce qui se rapporte à ce qui est nôtre.
Platon a raison de nous recommander
dans le Philèbe de nous séparer de tout ce qui nous entoure et nous est
étranger, afin de nous connaître nous-mêmes à fond, de savoir ce qu'est l'homme
immortel et ce qu'est l'homme extérieur, image du premier, et ce qui appartient
à chacun d'eux. A l'homme intérieur appartient l'intelligence parfaite;
elle constitue l'homme même, dont chacun de nous est l'innée. A l'homme
extérieur appartient le corps avec les biens qui le concernent. Il faut
savoir quelles sont les facultés propres à chacun de ces deux hommes et quels
soins il convient d'accorder à chacun d'eux, pour ne pas préférer la partie
mortelle et terrestre à la partie immortelle, et devenir ainsi un objet de pitié
et de risée dans la tragédie et la comédie de cette vie insensée (15),
enfin pour ne pas prêter à la partie immortelle la bassesse de la partie
mortelle et devenir misérables et injustes par ignorance de ce que nous devons à
chacune de ces deux parties (16)."
Source
L'homme extérieur est là-bas, dans le miroir, dans le regard des autres. Voué à la mort, la maladie et à la vieillesse, il est une chose parmi les choses. L'homme intérieur est ici, à zéro centimètres de nous-mêmes. Sans formes, transparent, léger, grand ouvert, diaphane, il nous suffit de retourner notre attention dans la direction indiquée par ce doigt pour le connaître, plus facilement que n'importe quelle chose :
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