Y a-t-il un au-delà de la
conscience ?
Certaines autorités l'ont
affirmé, comme Nisargadatta Maharaj. Et d'autres avant lui. Comme l'école du Nyāya/Vaiśeṣika, pour qui l'état de délivrance est un
état d'inconscience, puisque la conscience n'est pas notre vraie nature, mais
seulement une qualité, un attribut parmi d'autres, dont nous sommes délivrés au
moment de la délivrance. Cet état de délivrance n'est pas un état de félicité,
de plénitude, mais une absence de toute souffrance et de toute expérience, un
état qui n'en est pas vraiment un. De plus, la conscience est le fondement de
toute expérience, donc aussi bien de toute souffrance. Se libérer de la
conscience, c'est donc se libérer de la souffrance. C'est là un thème des
philosophies d'Occident, qui, de différentes façons certes, célèbrent la surconscience
ou l'inconscience, depuis l'inconnaissance de Denys le théologien jusqu'aux
soirées suralcoolisées de nos jeunes.
Pourtant, l'absolu est-il autre
chose que la conscience ? La conscience est-elle un état, susceptible d'être
dépassé ? Et qu'est-ce que la conscience ?
Pour certains, comme pour le
bouddhiste Nāgārjuna, toute conscience
implique une dualité du sujet et de l'objet. En Occident, on dira que toute
conscience est conscience de quelque chose. Le courant bouddhiste dont témoigne
Nāgārjuna comparera la
conscience à une épée qui ne peut se couper elle-même. Autrement dit, il n'y a
pas de conscience de soi. C'est juste une apparence, un faux-semblant, un mythe,
une manière de parler sans réfléchir.
Or, qu'est-ce que serait une
conscience sans conscience de soi, une conscience inconsciente, en quelque
sorte ?
Un autre courant bouddhiste
affirme au contraire que la conscience est consciente d'elle-même, sans dualité
entre sujet et objet, tout comme une lampe est à elle-même sa propre lumière,
sans avoir besoin d'une autre lampe. Ce courant, présent aux origines du Grand
Véhicule (mahāyāna), deviendra l'école de
la pratique du yoga (yogācāra), selon laquelle tout
est construction mentale.
En résumé, en Occident comme en
Orient, dans l'hindouisme comme dans le bouddhisme, et encore aujourd'hui, il y
a deux positions sur la conscience :
-la conscience est un état, une
étape vers l'absolu qui est notre vraie nature, un état subtil, l'état ultime,
mais qui peut et doit être dépassé dans un inconcevable au-delà de la
conscience, car toute conscience est germe de souffrance et toute souffrance
enveloppe une certaine dualité. On ne peut échapper à l'expérience de la
souffrance, à moins de dépasser l'expérience elle-même, c'est-à-dire la
conscience.
-la conscience n'est pas un état,
mais l'arrière-plan de tout état. Elle n'est pas une étape, mais le fond sans
fond de toutes les étapes. Elle n'est pas une qualité de l'absolu, mais son
essence. Toute conscience est conscience de soi, mais cette conscience de soi
n'implique pas dualité du sujet et de l'objet. La conscience se connaît
elle-même, mais pas à la manière dont on connait un objet. Elle se connait
immédiatement. La conscience est n'est pas nécessairement source de souffrance
: la pure conscience de soi, sans objectivation de soi, sans identification, a
le pouvoir de transformer toute expérience en félicité imprégnée de paix.
Je pense que la raison,
l'intuition et l'expérience montrent que la seconde position est la bonne.
La première position est erronée,
car :
-elle confond la conscience avec
un état, c'est-à-dire un objet de conscience.
-quand elle affirme que la
conscience est forcément dualiste, tout comme une épée ne peut se couper
elle-même, elle confond encore la conscience avec un objet. La conscience ne ressemble
pas à une épée, ni à rien d'autre. Seul Dieu peut connaître Dieu.
-un au-delà de la conscience
serait encore une expérience, donc un état de la conscience. Vouloir sortir de la
conscience, ou croire que l'on en sort, c'est comme vouloir aller plus vite que
son ombre.
-la conscience n'est pas duelle, même
quand elle semble l'être. La conscience de l'objet est toujours, en réalité,
une conscience de soi. La dualité est une erreur : on prend une conscience de
soi pour une conscience de l'autre, comme dans un rêve.
-il n'y a pas de moyen de connaître
l'au-delà de la conscience.
-les textes traditionnels qui
affirment que l'absolu est "au-delà de la conscience ou de
l'inconscience", "sans conscience" (acetana, asaṃvedana), "au-delà de
l'être" (sattva-atīta)
sont des procédés pédagogiques pour délivrer la conscience de la tendance à
s'identifier, à saisir les objets et les états. La sagesse de Nagārjuna doit se comprendre
dans ce contexte.
-les états de vide, d'"inconscience",
dont le sommeil profond est l'illustration la plus pure, sont des états. La
conscience n'en est pas un.
-la conscience n'est pas quelque
chose de fixe et absolument immuable. Elle est toujours présente, mais elle est
libre de se ressaisir comme vide, comme rien, comme elle est libre de se
ressaisir comme carotte, chien ou homme.
-la conscience est libre veut
dire qu'elle n'est pas prisonnière d'elle-même : elle peut se prendre pour ceci
ou cela.
-le vide, les états
d'inconnaissance, d'inconscience, etc. sont simplement la conscience se
reprenant comme pure conscience, ce que la conscience qualifie d'inconscience,
parce qu'elle ne se connaît d'ordinaire (à l'état de veille) que dans les
objets. Ce que l'on prend pour pure inconscience ou un "au-delà de la
conscience" est pure conscience non-duelle.
-cette pure conscience n'est pas
la reconnaissance libératrice. Car quand les objets réapparaissent, la
conscience est emportée et aliénée de nouveau.
-la conscience se reconnait comme
intervalle entre les objets, les états, et comme ces objets, ces états : alors
seulement elle est libre.
-pratiquement parlant, on reste
comme muet, détaché, flottant, décroché, ouvert, en l'absence ou en la présence
d'objet, sans référence à un sujet. Voir qu'il n'y a pas de sujet, c'est voir
le vrai sujet. Voir que personne ne voit, c'est voir notre vraie nature, la
conscience, par-delà les mots, les images, les émotions, les sensations, les
états.
Quelques versets du Yoga selon Vasistha sur l'identité de
l'absolu et de la conscience de soi :
Le vent et son frémissement sont
un,
De même que le feu et sa chaleur.
De même, la pure conscience et
son pouvoir de vibrer
Sont toujours un seul et même Soi
(6/2, 84, 3)
Quand (la conscience) se détend
et reste telle quelle,
On l'appelle "Śiva" :
Alors l'activité de la déesse, du
pouvoir de conscience,
Repose dans le Soi, en soi.
Quand elle reste telle quelle, en
son état naturel,
On l'appelle "Śiva". (6/2, 84, 26,
27a)
Parce qu'il est conscience,
(L'absolu) ne peut être ce qu'il
est
S'il n'est pas ainsi (conscient),
De même que l'or ne peut exister
Sans forme. (6/2, 82, 6)
Toi qui es sage ! Dis-moi comment
Le poivre peut-il exister sans
être poivré ?
Comment le sucre pourrait-il ne pas
être sucré ? (6/2, 82, 8-9)
Une pure conscience
Dépourvue de conscience
Ne mérite pas le nom de
"pure conscience" ! (6/2, 82, 10)
La conscience ne peut être
présente
Sans cette sorte de vibration
Qui est la substance même de la
conscience,
De même qu'une chose ne peut être
Ce qu'elle est en ne l'étant pas
! (6/2, 83, 14)
Ainsi, il n'y a pas d'au-delà de
la conscience. Et cet au-delà, si même on pouvait le deviner, en parler ou en
faire l'expérience, fût-ce à travers une "non-expérience", serait
encore dans la conscience, dans ce que le poète Jacques Goorma appelle le Séjour :
"Le Séjour de l'éveil est
dans la clarté de l'esprit, dans cette lumière irradiant toute chose de sa
présence. Toute chose n'a lieu qu'en son Séjour" (Le Séjour, p. 9)
En vérité, les choses ne viennent
pas de rien, ni de la conscience. Elles sont
un rien conscient.
D'après moi c'est la première solution qui est vraie.
RépondreSupprimerLa conscience nait de la dualité.
Sans dualité rien n'existe. La dualité est donc la seule conscience qui existe.
La non dualité n'existe donc pas sauf en tant que dualité totale.
C'est cela la non dualité la constatation que exister c'est être duel et que sans dualité il ne peut pas exister quelque chose.
D'ailleurs il suffit de se fier à l'observation conventionnelle.
La non dualité d'après moi telle que présentée actuellement est encore une manière de sauver quelque chose. Alors que rien ne peut être sauvé. Il est probable que le monde n'a aucun sens.
Fort de ce constat le mieux à faire est de se faire du bien et pas du mal, éviter la souffrance, être sympa, cool.
Dans un monde qui n'a aucun sens pour un humain le mieux est encore de se rassembler entre humains (et être vivants). Certains parlent d'amour moi je dirai plutot être pragmatique et logique.
Quand on ignore les règles du jeu le mieux est de s'unir contre l'inconnu. C'est du simple bon sens.
Avouer simplement je ne sais pas et j'ai peur.
Merci pour ce blog génial dont les articles nourrissent le feu intérieur, inspirent le cœur et aiguisent le mental…
RépondreSupprimerNisargadatta conseille en effet, dès que nous sentons en nous la disponibilité au cours de la journée, de demeurer tout simplement avec la sensation d'être : "Je suis". De revenir le plus souvent à cela et rien qu'à cela. Sans le Ceci et le Cela. Sans l'histoire que l'on se raconte en continu à propos de la vie de soi et des autres. C'est l'état ultime, l'équation minimale de l'être que je suis.
Mais il dit aussi qu'il faut aller au-delà, que lui est au-delà…!!!
Il me semble que l'on peut aussi aborder Nisargadatta sur un plan pratique et pédagogique plutôt que philosophique ou théorique.
Lorsque Nisargadatta dit que "Je suis" n'est pas l'ultime, il s'inscrit effectivement dans une lignée de mystiques appelant à l'humilité du non savoir (Nuage d'inconnaissance, Denys l'Aérophagite, Maître Eckhart…).
Et peut-être qu'il le fait par un souci pédagogique afin que ce "Je suis" ne soit pas à nouveau objectivé et "compris".
Car en réalité au moment où vous réalisez Je suis c'est au-delà des mots, mais très vite le mental cherche à enregistrer cette non expérience comme une expérience et en fait un objet de connaissance, une mémoire… Cette injonction de Nisargadatta à aller au-delà du "Je suis", c'est à dire de la conscience me fait penser à Krishnamurti lorsqu'il dit que nous ne pouvons qu'ouvrir la fenêtre mais pas décider si le vent va souffler. Nous ne pouvons que porter attention à notre inattention. Dissoudre le contenu de la conscience par la connaissance de ce que nous ne sommes pas (le fameux neti neti, ni ceci ni cela). Mais la grâce, l'ingrédient de la dissolution finale, l'inconnaissance en quelque sorte, se présente quand elle "veut".
Ne plus rien savoir me paraît effectivement être l'état le plus élevé en cela que ce n'est pas un état, c'est une ouverture, une potentialité, une disponibilité, une feuille blanche, un abandon.
Or si "Je suis" est bien compris ou plutôt réellement vécu en toute humilité cela me paraît être la même chose. L'injonction à aller au-delà de la conscience est une façon d'inciter à ne rien figer. Une injonction à se fondre dans le nuage d'inconnaissance comme le sucre dans le café…
C'est les mots qui me viennent pour décrire ce que Je vis lorsque "Je suis" se réalise. "Je suis" résonne alors autant avec "Je vis" que "Je suis vécu"…
Tout dépend alors de quel "Je" parle.
Lorsque "Je vis" se vit c'est l'absolu qui parle..
Lorsque "Je Suis vécu" se vit c'est le dernier expire en formes de mots de l'individu avant l'engloutissement…
Autre possibilité : Ce que vis Nisardatta est véritablement au-delà mais il ne sert à rien de le comprendre puisqu'il est au-delà. Ce que nous avons à faire nous, c'est de demeurer au cœur du "Je suis"… Le reste étant une question d'élection en quelque sorte… Et pourquoi pas…ça me va…
Je vous livre tout de même le mantra que m'a inspiré l'enseignement de Nisargatta et qui a été tout de même la pichenette qui a mis fin à "ma" recherche :
"Je suis ce en quoi "Je suis" apparaît et disparait".
Il me semble que l'essentiel demeure le galvaudé "lâcher prise". Lorsque je me rends compte de ma prétention apparaît l'humilité sans personne d'humble.
Belles éclosions à toi et à tous les lecteurs,
Amor Fati
J'ai beaucoup de considération pour l'option gnostique.
RépondreSupprimerNous partons un peu facilement dans l'option positiviste : tout est merveilleux sans que rien ne vienne étayer cette affirmation péremptoire.
Il convient de relativiser et étudier. Avec deux de QI seulement (et pas + peut être ?) on constate très facilement qu'il y a un truc qui cloche.
Je renvoie souvent à la poule de batterie car l'image doit être assez exacte :-(
En lisant ce que vous écrivez tous, je m’imagine deux personnes, chacune “regardant” la conscience de l’autre. Les consciences se regardant entre elles. Ce n’est pas bien réaliste, mais juste imaginer que cela se produise, est-ce que ce n’est pas un petit début de tantrisme, qui nous met dans l’ambiance? Et pire… voilà que je commence à sentir la saveur de ma conscience qui se lèche elle même tout en provoquant des émotions de coeur. Merveilleuses hallucinations illusoires qui suggèrent une merveille sans forme, tout en épiçant le goût de l’ici bas.
RépondreSupprimerLe sucre n'est sucré que s'il est goûté à travers les sens ... Ce qui nous ramène aux organes physiques ... Et à ce qui est décodé ... Analysé par le cerveau ... Non !?
RépondreSupprimerLe sucre et le fait de le goûter ... N'est pas lié au sucre ... Uniquement ... :)
Oui Chémi,
RépondreSupprimerDeviner la conscience chez l'autre, c'est pressentir que la conscience de l'autre et notre conscience sont une seule et même conscience.
Toute rencontre est une reconnaissance partielle de la conscience libre, souveraine et pareille à l'espace.
Oui Dan, l'exhortation à dépasser le "je suis" est peut-être un geste pédagogique. Mais il est maladroit : s'il y a un au-delà de la conscience, alors il y a un au-delà cet au-delà, et ainsi de suite, sans fin, comme une chaîne suspendue... à rien. La quête est sans fin : c'est le samsara, c'est Sysiphe.
RépondreSupprimerLa Question si il y a quelque chose au-delà de la conscience c’est une question qu’on est forcément amenés à se poser lorsqu’on s’intéresse à la transcendance non ? donc il est légitime de se poser la question de savoir c’est quelque chose au-delà de laquelle conscience car l’homme sera forcément amenés à se poser cette question .l’homme c’est comme vous l’avez suggéré dans un de vos articles ou plutôt, la nature de l’homme qui est divine: le désir absolu le désir sans fin et quelque part c’est ce désir qui est un absolu et quelque part même si l’homme pouvait atteindre « l’absolu » (aux sens du nyanya un absolu négatif)dans le sens ou de ce qu’il y a de plus primordial il le chercherais encore cette question est légitime mais est-il aussi légitime de se poser la question qu’est-ce qu’on ferait de « ça »celui qu’il serait content sans conscience qu’est-ce qu’on ferait de la délivrance si c’était vraiment un état sans conscience ? Quelque part On (humain encore doué de désir )on en voudrait pas donc moi je pense qu’il y a différentes façons de se libérer du Samsara et j’ajouterais que il y’a pas qu’une seule façon de faire donc si pour certains la transcendance c’est d’accueillir(ou de s’abandonner dans un État qui serait sans conscience ce qui pour moi est tout Bonnement impossible je veux dire un état qui serait absolument sans conscience mais même si c’était le cas même si c’était possible ce serait qu’un des chemins parmis d’autre moi je ne conçois pas qu’il y ai l’unicité(vision très moderne « universaliste » ou tout dois aboutir aux meme point )des chemins mais je ne crois pas non plus à l’unicité des solutions ,des solutions pour atteindre une certaine forme de transcendance donc moi je crois(aux sens que je donne ma confiance aux faite que :)qu’on peut atteindre la transcendance effectivement par l’absence de perception une absence qui serait même poussé jusqu’à une certaine forme d’inconscience ou plutôt de conscience en repos mais moi personnellement ça ne m’intéresse pas voilà
RépondreSupprimerJe fait beaucoup référence à moi mais c’est pas par égoïsme c’est plutôt pour pouvoir parler à partir de son point de vue car finalement on parle toujours à partir de son propre centre à partir de son propre centre quelque part nous nous exprimons toujours par rapport à notre propre centre
Donc ça c’était pour dire combien même l’inconscience existe en quoi nous en tant qu’humain ça nous concerne et je pense pas que l’absence de conscience est la destination de toute chose parce que sinon c’était la destination tout autre chose bah il nous aurait pas pu avoir une conscience c’est-à-dire on peut pas imaginer que quelque chose qu’un négatif ce positivisme aucun positif c’est négatives c’est forcément deux aspects d’une seule et même chose
Mes arguments laisse perplexe et j’ai un autre argument en faveur d’une impossibilité d’un au-delà de la conscience c’est certains disent que la conscience serait un attribut moi j’affirme qu’en réalité les attributs profond des choses sont leur nature par exemple l’eau elle mouille elle a d’autres caractéristiques que ça évidemment mais une de ses caractéristiques c’est de mouiller vous pouvez la chambre congelée vous pouvez l’évaporer mais même quand elle mouille rat pas elle finira toujours par remouillée donc dans la nature de l’eau il y a il y a la faculté de mouiller tout comme dans la le brahmane il y a la faculté d’être conscient donc tout comme l’eauEt que peut-être elle partage avec d’autres liquides mais ça fait aussi partie de ce qu’elle est de manière intrinsèque donc un attribut c’est la manifestation du naissance et donc comment il pourrait y avoir quelque chose au-delà de lui-même quelque chose ne peut pas être au-delà de soi c’est une règle absolue donc le brahmane ne peut pas être au-delà de la conscience il peut être au-delà de la conscience manifester mais jamais au-delà de ses propres attribue ou de ses propres façon de se montrer etc.(il peux les déployer et reployer comme un paon)