Qui
suis-je ?
La
réponse précède la question, plus évidente que la question.
Indicible,
notre vraie nature est comparable à un miroir. Les reflets ne l'affectent pas,
de même que les objets ne parviennent pas à altérer la conscience.
Concrètement, la conscience accueille toutes choses, tout en les transcendant.
Les pensées, les sensations sont dans la conscience, imprégnée par elle, comme
les reflets sont imprégnés des qualités du miroir. Mais la conscience n'est pas
enfermée dans les pensées et les sensations. Elle les dépasse. Le vrai sujet -
la conscience - ne se réduit jamais à un objet. Autrement dit, la relation
entre la conscience et les objets est asymétrique
: les objets (pensées, sensations, états, etc.) sont la conscience, ils en
dépendent, ne sont rien en eux-mêmes, alors que la conscience est toujours quelque
chose de plus que les objets qu'elle vise ou contient.
Elle
est comme l'espace. Aucun corps ne peut exister en dehors de l'espace. Mais
l'espace n'est enfermé dans aucun corps.
Or,
nous sommes d'ordinaire aveugles à cette asymétrie. Nous réduisons la conscience
à un objet - le corps. Nous nous identifions à cet objet. Quand cet objet
disparait ou est menacé de disparaître, nous nous trouvons mal. Il est donc
vital de se reconnaître comme pur sujet irréductible à aucun objet, comme pure
conscience libre de l'objet, mais dont tous les objets dépendent.
Cependant,
si on en reste là, on parvient à une sorte de dualisme : je suis la conscience
qui transcende les objets, irréductible à un objet. C'est la reconnaissance de
la transcendance. Cette reconnaissance est certes libératrice, mais elle a un prix : en effet, j'ai dès
lors tendance à prendre les objets pour des sortes d'ennemis, des choses dont je dois m'abstraire.
Or, nous sommes si
habitués à faire attention aux choses qu'il semble impossible de jamais s'en
abstraire. De plus, cet effort pour aller à contre-courant de l'attention habituelle,
ou des sollicitations internes (pensées, souvenirs, images) ou externes
(sensations), est source de malaise. C'est de cette souffrance dont témoigne
Hadewij d'Anvers (XIIIe siècle). Elle reconnait d'abord que "le cercle des
choses doit se restreindre et s'anéantir, pour que celui de la nudité, élargi,
dilaté, embrasse l'infini". C'est la reconnaissance de l'aspect de
transcendance de la conscience. Mais l'on se retrouve ainsi déchiré entre deux
directions : la conscience pure et nue vers l'intérieur, et la multiplicité des
choses, à l'extérieur. Hadewij essaie de nous rassurer : "Quoi que vos
sens perçoivent, maintenez votre intérieur dans l'unité, pour pénible qu'il
vous soit de vous sentir ainsi disputée par deux êtres".
L'image
parlera à ceux qui pratiquent la méditation : dans le silence, on découvre une
immensité, mais elle semble nous être dérobée par ces voleurs que sont les
pensées et les sensations. Celles-ci apparaissent alors comme autant d'ennemis.
Constamment sur notre garde, nous sommes stressés par le danger de la
distraction, stress auquel précisément nous voulions échapper.
Que
faire ? Comment échapper à ce conflit, ce déchirement source de mal-être ?
De
plus, on retrouve ce même type de précepte dans les courants non-dualistes. On
nous annonce la non-dualité, mais on nous dit que nous ne sommes pas des
objets, que nous sommes le Témoin des pensées, des sensations et de tout le
reste. On se retrouve alors écartelé dans un dualisme source d'une nouvelle
sorte de souffrance, qui ressemble fort à l'autisme, dans lequel la conscience
ne parvient plus à accueillir les choses, parce qu'elle les perçoit comme
autant d'adversaires menaçant de la submerger.
L'homme
ordinaire, identifié aux objets comme le corps, a sans doute besoin de se
reconnaître comme conscience transcendante. Comment la conscience pourrait-elle
être libre tant qu'elle s'identifie à une chose limitée ? Mais il abouti ainsi
à une posture dualiste, à la fois
source d'émerveillement et cause de profonde dépression. La plupart des gens
restent bloqués dans cette dualité, même dans les milieux non-dualistes. Ils
comprennent que quelque chose cloche, sans vraiment parvenir à mettre le doigt
dessus. Les années passent, et en général ils deviennent cyniques. Quel dommage.
Pourquoi
? Parce que la non-dualité est bien celle de la conscience et des objets, du
sans-forme et des formes, du miroir et des reflets. Il y a bien des intervalles
de conscience pure, sans objet. Et ces intervalles sont autant d'occasions pour
la conscience de se délivrer de l'identification aux choses, ou du moins de
revenir à elle. Mais ce n'est pas la reconnaissance de la non-dualité.
Cependant,
dira-t-on, la reconnaissance de la non-dualité, l'éveil, n'est-il pas la
conscience sans objet, la conscience sans pensées ?
C'est
vrai, mais il y a une ambiguïté dans ces expressions. "Conscience sans
objets" ne veut pas dire "conscience d'où les formes, etc., sont
absentes", à l'image d'un miroir sans reflets, ou d'un espace vide. Car
s'il s'agissait de cela, ce serait impossible ! Comment enlever les reflets
d'un miroir ? Et si cela était possible, serait-ce encore un miroir ? Ou alors,
il faut opacifier le miroir, lui ôter sa transparence, bref s'arranger pour
qu'il ne soit plus miroir... C'est une solution retenue par certains, qui
veulent anéantir la conscience pour anéantir toute possibilité de souffrance.
Mais ce à quoi ils parviennent, au mieux (?), c'est à forger un reflet appelé
"néant", un objet vague, obscur et abstrait, que l'on peut appeler
"vide" ou "au-delà de la conscience". Mais c'est encore un
objet. On n'échappe pas ainsi à la dualité sujet-objet, et en plus, on se prive
de tout bien-être, de plénitude et de félicité.
La
conscience sans objet, ce n'est pas cela. Ce n'est pas un état conditionné par
la présence ou l'absence d'objet. C'est bien plutôt une conscience libre des objets. La conscience
ordinaire - le mental - est obnubilé par les choses, les pensées, les états,
fut-ce le néant ou l'énergie subtile ou que sais-je encore. La conscience libre
est libre des objets. Mais être libre, ce n'est pas fuir, ce n'est pas chercher
l'isolement.
C'est
accueillir et reconnaître. Les formes, les sensations, les pensées, une fois relâchées,
relaxées dans l'espace sans limites de la conscience, apparaissent comme beaux
et bons, d'une manière inexplicable. Le problème, ce ne sont pas les choses,
mais notre attachement obstiné à elles. Car, de fait, quand on cesse de penser,
ces choses continuent d'apparaître, plus clairement et avec plus de vie
qu'auparavant. Elles ne sont pas ennemies, elles ne sont pas des tares d'une
conscience supérieure. Elles proclament la gloire de la conscience.
Mieux :
elles sont, purement et simplement, conscience, sans séparation, sans
confusion. Il n'y a rien à unifier, à harmoniser, à réconcilier. Il suffit de
lâcher : de laisser venir, laisser être, laisser partir. La conscience sans
objet ne fait qu'un avec les formes, mais sans plus s'identifier à aucune
d'entre elles. Elle est ouverte, sans accroche, sans anicroches, sans
aspérités, béante. Sans transcendance, sans fuite vers le haut ou vers un
ailleurs. Les pensées, les sensations ne sont plus ennemies, mais amies, comme
un vent vif qui réveille ou qui alimente un feu, comme une vague qui éveille à
l'immensité de l'océan. Ou bien même, elles ne sont ni bonnes ni mauvaises,
comme des voleurs dans une maison vide. Plus personne pour être distrait ou
tiraillé. Quelle paix !
Mais
aussi quelle joie ! Comme si les choses étaient le débordement du rien, la plénitude
du vide, le sourire du sans-visage.
Bien
des hommes et des femmes nous ayant précédés nous l'ont dit. Selon le Vedânta,
la magie d'illusion (māyā), le spectacle du monde, n'est pas une tare (dūṣaṇa),
mais un ornement (bhūṣaṇa). Un autre héraut de la conscience non-duelle, Vasiṣṭha,
le hurle les bras au ciel (mais personne n'entends, de toute façon) :
"Sache
que le monde est conscience, car on ne peut être conscience sans être monde.
Sans le monde, la conscience serait inconscience. Et comment le monde
pourrait-il être (ou même ne pas être) sans conscience ?"
"C'est
la nature de la conscience de faire l'expérience de sa prorpe nature sous la
forme du monde."
Dans
le courant du tantra non-duel, Abhinavagupta, fait remarquer que quand un miroir
reflète vivement les formes, il ne nous prend pas l'envie de le nettoyer ! Au contraire,
on se dit que cette profusion de formes est la preuve de la pureté du miroir.
iti
sham
D'après moi ta position est trop métaphysique David. C'est bien je sais de quoi tu parles mais il faut maintenant expliquer comment ca se passe.
RépondreSupprimerBiologie, physique, science etc
Par exemple ce superbe reportage :
http://consciencesansobjet.blogspot.fr/2013/11/metamorphose-la-loi-du-changement.html
On constate que du fond atomique provient l'information. Cette information consiste à dire uniquement : survivre, se reproduire.
Ce que Schopenauer a appelé la volonté.
On peut et on doit aujourd'hui se dépasser. Tous. Comprendre où on vit et arrêter avec ces vieilles histoires de bonheur et de quête de félicité.
C'est infantile. Ca n'exisqte pas. Nous sommes des hormones. Ce sont nos hormones qui dictent toutes nos émotion et donc nos pensée. Seule la connaissance nous apportera la paix durable : "nous" les humains.
@Duc Gontran : Non, ce n'est ni métaphysique ni infantile, et croire que nous ne somme que matière est une position que même la science commence à critiquer.
RépondreSupprimerLa quête du bonheur est inhérente à l'homme. Son erreur fondamentale est de le chercher ailleurs qu'en lui-même.
Cet article me touche par sa clarté et sa simplicité. Merci pour ce partage David.
RépondreSupprimerExprimé en jeu d'exploration cela donne ceci :
(Je l'ai expérimenté des centaines de fois seul et des centaines de fois avec des centaines d'amis très différents)
Prenons un objet comme La souffrance par exemple. Pas l'idée de la souffrance. Une souffrance pensée et ressentie par vous même. N'importe laquelle.
1) Demandez à quelqu'un de ressentir pendant trente secondes : ceci est "ma" souffrance.
2) Demandez ensuite même personne de considérer cette même souffrance en tant que "Cela est une souffrance"..(ressentir cela 30 secondes)
Dans le premier cas on ressent un resserrement psychocorporel observable scientifiquement.
Dans le deuxième cas une expansion psycho corporelle. LeIl apparaît qu'on n'est pas cette souffrance cela car il n'y a plus le sentiment d'appropriation de la souffrance. Voir que l'on est rien est libérateur.
Maintenant demandez à une personne de considérer la même souffrance en tant que :
1) J'ai une souffrance (30 secondes de ressenti) puis
2) Je suis la souffrance (30 secondes de ressenti)
Dans le premier cas, malaise dans la structure psychocorporelle à cause de la résistance-séparation avec la souffrance. Et dans la deuxième expérience de fusion-reconnaissance avec la souffrance - que l'on est aussi en tant que source de toute chose - sentiment expérience d'expansion et de profonde Inconnaissance…Libération de voir que l'on est tout.
Dans le premier jeu la conscience s'expérimente comme un miroir libre de l'objet. dans le 2eme ex (J'ai Je suis) le sujet expérimente la fin de la souffrance avec la reconnaissance qu'il est cette souffrance sur un plan profond.
Conclusion en clin d'œil qui espère passer le barrage de la modération : La source se laisse attraper par devant et derrière : Elle aime qu'on la retrouve et qu'on aille totalement vers l'intérieur ou totalement vers l'extérieur vous la retrouvez… (façon de parler puisqu'elle est déjà là)...
Le paradoxe de la conscience à la fois transcendance et immanence s'éprouve dans ces jeux. ne les critiquez pas d'un point de vue intellectuel avant de les avoir expérimentés et ressentis plusieurs fois… Avis aux amateurs...
"La source se laisse attraper par devant et derrière" : Voyons, Dan ! Un peu de retenue, quand même ! :)
RépondreSupprimer@Philippe
RépondreSupprimer"La quête du bonheur est inhérente à l'homme. Son erreur fondamentale est de le chercher ailleurs qu'en lui-même."
Bien entendu.
De la même manière que les matérialistes sont "bloqués", sclérosés, dans l'impasse, les spiritualistes, les chercheurs d'éveils, les new ages sont aussi dans l'impasse.
La question n'est pas pour ou contre la matière.
La question n'est pas d'être pour ou contre.
La question est : comment ca fonctionne précisément.
La connaissance est d'après moi la plus grande des joies à notre disposition aujourd'hui.
Pourquoi s'enfermer dans un : je suis éveillé et je déteste la science ? Je suis éveillé et à mort la pensée ?
Nous avons une chance incroyable actuellement : celle de pourvoie enfin entrevoir ce qui ce cache derrière la matière, derrière les apparences.
Je n'ai aucune vocation de disciple. J'ai en revanche une vocation de chercheur de la vérité. Pas MA vérité (je l'ai déjà trouvée) mais LA vérité.
Cette obsession moderne pour "l'éveil" est comme l'époque. Superficielle. Autocentrée sur les nombrils. Soif de reconnaissance narcissique. Mais pas beaucoup de soif de vérité.
J'ajoute que tout chercheur honnête de la vérité s'éveillera son petit ego très facilement. Rien de + simple. C'est presque obligé si on est sincère.
Ca n'empêche nullement de devenir instruit, simple et cultivé, intuitif etc.
Oui cher duc, quelle joie de chercher la vérité ! La science est une quête merveilleuse.
RépondreSupprimerMais pas incompatible avec la spiritualité.
Deux exemples :
Susan Blackmore et Sam Harris.
D.
Je ne te cache pas que la théorie des "mêmes" me séduit vraiment beaucoup (Susan Blackmore).
RépondreSupprimerSam Harris je ne connais pas.
As tu des ouvrages a conseiller des deux auteurs ?
Zen and the Art of Consciousness de Blackmore. Quant à Harris, il va sortir un livre sur science et spiritualité qui promet.
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