mercredi 27 juillet 2016

C'est quoi l'amour ?



Voici le texte le plus important sur l'amour.

L'amour est désir d'immortalité :

"Tous les humains sont féconds, selon le corps et selon l'esprit. Quand nous sommes en âge, notre nature sent le désir d'engendrer... et en effet, l'union de l'homme et de la femme est enfantement. C'est là une oeuvre divine, et l'être mortel participe à l'immortalité par la fécondation et la génération....
Quand l'être pressé d'enfanter s'approche du beau, il devient joyeux et, dans son allégresse, il se dilate et enfante et produit. Quand, au contraire, il s'approche du laid, renfrogné et chagrin, il se resserre sur lui-même, se détourne, se replie et n'engendre pas. Il garde son germe, et il souffre...
mais pourquoi de la génération ? Parce que la génération est pour un mortel quelque chose d'éternel et d'immortel ; or le désir d'immortalité est inséparable du désir du bien...puisque l'amour est le désir de la possession perpétuelle du bien : il s'ensuit que l'amour est aussi désir de l'immortalité.
... N'as-tu pas observé dans quelle crise étrange sont tous les animaux, ceux qui volent comme ceux qui marchent, quand ils sont pris du désir d'enfanter ; comme ils sont tous malades et travaillés par l'amour, d'abord au moment de s'accoupler ?... Quelle est la cause de ces dispositions si amoureuses ?
... Ce qui est mortel se conserve, non point en restant toujours exactement le même, comme ce qui est divin, mais en laissant toujours à la place de l'individu qui s'en va et vieillit un jeune qui lui ressemble. C'est par ce moyen que ce qui est mortel, le corps et le reste, participe à l'immortalité...
Regarde l'ambition des hommes : tu seras surpris de son absurdité, à moins que tu n'aie présent à l'esprit ce que j'ai dit.... car c'est l'immortalité qu'ils aiment.

La voie de l'amour :

"Quiconque veut aller à ce but par la vraie voie doit commencer dans sa jeunesse par rechercher les beaux corps....
Puis il observera que la beauté d'un corps quelconque est soeur de la beauté d'un autre...il doit se faire l'amant de tous les beaux corps.
Il faut ensuite qu'il considère la beauté des âmes comme plus précieuse que celle des corps.
Par-là il est amené à regarder la beauté qui est dans les actions et dans les lois.
Des actions et des hommes, il passera aux sciences et il en reconnaîtra aussi la beauté.
Ainsi arrivé à une vue plus étendue de la beauté, il ne s'attachera plus à la beauté d'un seul objet, et il cessera d'aimer, avec les sentiments étroits et mesquins d'un esclave, un enfant, un homme, une action. Tourné désormais vers l'océan de la beauté et contemplant ses multiples aspects, il enfantera sans relâche de beaux et magnifiques discours et les pensées jailliront en abondance de son amour de la sagesse (=philosophie), jusqu'à ce qu'enfin son esprit fortifié aperçoive une science unique, qui est celle du beau...
Celui qu'on aura guidé jusqu'ici sur le chemin de l'amour, après avoir contemplé les belles choses dans une gradation régulière, verra soudain une beauté d'une nature merveilleuse, celle-là même qui était le but de tous ses travaux antérieurs,
beauté éternelle qui ne connaît ni la naissance ni la mort,
qui ne souffre ni accroissement ni diminution,
beauté qui n'est point belle par un côté, laide par un autre,
belle en un temps, laide en un autre,
belle sous un rapport, laide sous un autre,
belle en tel lieu, laide en tel autre,
belle pour ceux-ci, laide pour ceux-là.
Beauté qui ne se présentera pas à ses yeux comme un visage, ni comme des mains, ni comme une forme corporelle, ni comme un raisonnement, ni comme une science, ni comme une chose qui existe en autrui, par exemple dans un animal, dans la terre, le ciel ou dans telle autre chose.
Beauté qui, au contraire, existe en elle-même et par elle-même,
simple et éternelle,
de laquelle participent toutes les autres choses belles,
de telle sorte que leur mort ou leur naissance ne lui apportent ni augmentation, ni amoindrissement, ni altération d'aucune sorte.
Quand on s'est élevé des choses sensibles par un amour bien compris... jusqu'à cette beauté et qu'on commence à l’apercevoir, on est bien près de toucher au but.
Car la vraie voie de l'amour....c'est de partir des beautés sensibles et de monter sans cesse vers cette beauté surnaturelle....
Si la vie vaut la peine d'être vécue, c'est à ce moment où l'homme contemple la beauté en soi....
Penses-tu que ce soit une vie banale que celle d'un homme qui, élevant ses regards là-haut, contemple la beauté avec l'organe approprié et vit dans son commerce ? Ne crois-tu pas qu'en voyant ainsi le beau avec l'organe par lequel il est visible, il sera le seul qui puisse engendrer non des fantômes d'excellence, puisqu'il ne s'attache pas à un fantôme, mais l’excellence véritable, puisqu'il saisit la vérité ? Or c'est à celui qui enfante et nourrit l'excellence véritable qu'il appartient d'être chéri des dieux et, si jamais homme devient immortel, de le devenir lui aussi."

Platon, Le Banquet, trad. Chambry

Bien sûr, il n'y a pas tout dans ce texte. Et on peut le critiquer. On doit le critiquer.
Mais il a inspiré des siècles de pensée chrétienne et soufie. Il est la matière première de la pensée occidentale sur l'amour, avec le Cantique des cantiques et l'Evangile.

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