Les deux oiseaux de la Mundaka Upanishad ?
Nisargadatta est célèbre pour avoir enseigné qu'au-delà du Soi (âtman), il y a le Soi suprême (parama-âtman).
En fait, c'est une doctrine ancienne, comme souvent en Inde, où l'on a le sentiment que tout est apparu d'un seul coup, dès le commencement. Ainsi on trouve dès l'époque du Bouddha (vers 500 av. J.-C.) des doctrines matérialistes, agnostiques, sceptiques, fatalistes, évolutionistes ou monistes.
La distinction entre les deux Soi se trouve dans des Upanishads plus ou moins anciennes (l'histoire est notoirement difficile en Inde), comme la Maïtrî Upanishad. Lilian Silburn en parle dans sa passionnante étude sur le Temps (Instant et cause, le discontinu dans la pensée philosophique de l'Inde, De Boccard, p. 144).
Elle explique qu'il existe deux Soi selon la Maitrî : un Soi qui agit et qui récolte les fruits de ses actes ; et un Soi impersonnel (avyakta), transcendant.
Or ce Soi transcendant est "vide (shûnya), sans Soi (nirâtmâ), infini, indestructible, permanent, éternel, non-né, indépendant, baignant en sa propre majesté" (VI, 28).
Par la pratique du yoga, les mouvements s'apaisent peu à peu, le Soi s'éteint (nirvânam âtmanah, selon une ancienne expression rapportée dans le Canon pâlî), les énergies disparaissent. Il y a alors "absence de Soi (nirâtmakatva), le Soi n'existe plus. Il n'y a plus ni joie ni peine, c'est l'état absolu (kevalatva)" (VI, 21).
Mais au-delà du Soi individuel fait des quatre éléments, c'est bien le Soi ultime qui est alors révélé, comme dans l'enseignement de Nisargadatta :
"...grâce à l'annihilation du mental (manas), on voit le Soi de splendeur... alors il est dépourvue de Soi et parce qu'il est tel on doit comprendre qu'il est sans limites et sans origine" (VI, 20).
Lilian Silburn confirme : "Que le nirâtman ne réfère qu'au Soi immanent au devenir et non au purushâtman [=paramâtman], c'est-à-dire à une négation totale du Soi, se trouve confirmé par la violence avec laquelle la Maitrî s'élève contre les négateurs du Soi, les Nairâtmyavâdîn..." (p. 145)
On retrouve la même pédagogie dans d'autres Upanishads et dans le Sâmkhya.
Cette doctrine est celle de la dualité entre un Soi jugé impur et misérable, même s'il a une partie relativement pure (que le Sâmkhya, Nisargadatta et d'autres appellent sattva, cetanâ, buddhi, asmitâ ou encore mahat). C'est une approche dualiste qui peut servir en tant que moment vers la non-dualité.
Mais c'est aussi une approche ascétique qui rejette le corps, les émotions, la vie, les femmes, les enfants, etc.
Plus profondément, le problème de cette doctrine est qu'elle ouvre la porte à une "transcendance à l'infini" : s'il y a un Soi au-delà du Soi, pourquoi ne pas affirmer un Soi au-delà de ce Soi, puis encore un autre et ainsi de suite, à l'infini ?
C'est un problème récurrent dans les spiritualité de l'Inde, et qui aboutit à des pyramides sans fin. Chaque génération rajoute son "état ultime". C'est ainsi que dans les strates anciennes du Véda, manas- ou "mental" désignait la puissance divine ultime. Puis il y a eu buddhi- "l'intellect", puis mahat- "l'Immense", puis avyakta- le "non-manifesté" et ainsi de suite... Puis le shivaïsme, par exemple a rajouté ses plans supérieurs, jusqu'à trente-six, voir même un trente-septième, et un trente-huitième.
Mais en fait, c'est simple : la conscience n'est jamais un plan ou un état. Elle la lumière qui se manifeste librement en tant qu'état de veille ou état de sommeil profond, comme existence ou négation de cette existence.
Il n'y a pas un état supérieur à l'autre.
La vision juste, inclusive, est de voir comment ces états opposés sont une seule vie, comme l'inspir et l'expir d'un même cycle respiratoire.
Dans la méditation, la vie ou l'inspir, est l'état de veille (=de vie), qui se donne alors comme ressenti viscéral d'amour, de félicité et d'unité, vibration subtile (mais intense !) ressenti au plus profond des entrailles.
La mort ou l'expir, est l'état de sommeil profond qui se donne alors comme simple silence intérieur, transparence nue.
La pratique de la méditation est un simple silence intérieur, uni à un bouillonnement d'énergie qui part du centre de la chair, union de la vie et de la mort, du Rien et du Tout, de Shiva et Shakti, de l'énergie et de l'espace.
Shiva n'est pas supérieur.
Shakti n'est pas supérieur.
Le Soi n'est pas supérieur.
Le Soi suprême n'est pas supérieur.
Concrètement, le silence me sauve de la sauvagerie de l'énergie qui, sans lui, devient bavardage, obsessions compulsives et émotions de souffrance cyclique.
L'énergie me sauve d'un silence mort et qui exclut la vie, qui part dans un mouvement de transcendance aveugle.
Shiva et Shakti ont besoin l'un de l'autre.
Tel est le message du Tantra du Cachemire.
Deux opposés qui se complètent,
qui se nourrissent et s'enrichissent mutuellement.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Pas de commentaires anonymes, merci.