vendredi 25 octobre 2019

La force du poète


Le shivaïsme du Cachemire est une tradition de la vie.
C'est donc un courant de poésie.

Abhinava Goupta, son plus célèbre maître, est poète et poéticien, penseur de la théorie de la résonance ou de l'écho (dhvani).

Abhinava a notamment composé un commentaire peu connu à un poème sanskrit, pourtant traduit en français par Bernard Parlier. Dans l'introduction à sa traduction, ce dernier évoque ainsi la théorie de la résonance poétique :

"le dhvani est non seulement vibration (spanda) mais la sonorité qui fait tout vibrer "à l'unisson de". En mon d'harmonie où le yogin est parvenu, tout suggère tout, d'où correspondances et échos à l'infini. La résonance est spontanée, car pour qui est identique à tout, un rien fait résonner l'ensemble, les parties n'étant plus séparées du Tout. Ceci s'avère possible puisque le dhvani cosmique n'est autre que parâvâk, parole vivante, vibrante, indifférenciée. Le dhvani en esthétique se tient plutôt en madhyamavâk (parole intermédiaire), l'écho ne se répand pas si loin, néanmoins sujet et objet ont même substrat.
Cette définition du dhvani explique ce qu'il y a d'essentiel dans l'expérience artistique : le coeur sensible du sahridaya apte à résonner. Pourquoi ? Parce que, comme le mystique, il éprouve le shântarasa [la sérénité] source et fondement du dhvani, car il faut un calme désintéressé pour que le coeur vibre et que la suggestion joue. Ce qui vibre ainsi ce sont les vâsanâ du sahridaya, ses impressions latentes éveillées par l'expression poétique et qui s'étendent à un lointain passé, lors d'un samsâra infini où le sahridaya a tout vécu, tout éprouvé, d'où l'universalité de cette expérience non limitée par l'espace et le temps. Dans son Kramastotra ABhinavagupta dit qu'il est lui-même devenu omniscient à force de transmigrer à travers d'innombrables vies." (La Ghatakarparavivriti, De Boccard, p. 12).

Autrement dit, la poésie est manifestation du Savoir Vrai (sad-vidyâ), de la non-dualité, de l'intuition (pratibhâ) de l'unité du sujet et de l'objet (ahamtâ-idantâ-sâmânâdhikaranya).

Mais la poésie est-elle innée ou acquise ?

Abhinava répond à la fin de sa glose au Poème de la cruche brisée :

kavīnāṃ śaktir eva balīyasī, sā eva lokottarā vyutpattir iti abhidhīyate; na tu anyā kaviśakter vyutpattir nāma kācit | 

"La plus grande force du poète, c'est son pouvoir (shakti)", c'est-à-dire son instinct inné. Cette puissance visionnaire (kavi-shakti) devient culture quand elle prend assez de recul par rapport au monde : "Cette même énergie est appelée "culture" (vyutpatti, éducation, formation) quand elle transcende le monde. Car en vérité, cette "culture" (poétique) n'est rien d'autre que la puissance du poète (kavi-shakti)."

On voit ici comment le "shivaïsme du Cachemire" conçoit le rapport entre inné (shakti) et acquis (vyutpatti), entre nature et culture : sans rupture. De fait, c'est le même rapport qu'entre connaissance (jnâna) et action (kriyâ) ou Shiva et Shakti, ces deux dimensions essentielles du Coeur universel. C'est-à-dire que l'action n'est rien d'autre qu'un prolongement de la connaissance. L'action est la connaissance manifestée, comme les vagues sont le mouvement de la mer elle-même. La connaissance, autrement dit, est action, de même que la masse liquide de la mer est toujours déjà en mouvement. La connaissance est activité subtil, spanda. De même, la culture est la manifestation "publique" de la nature, l'acquis est le développement de l'inné, et non un ajout véritablement extérieur. Par conséquent, le monde n'est pas un brouillard qui cache le Cœur, venant planer sur lui surgi d'on ne sait où, mais il est au contraire la manifestation du Cœur, il est le Coeur palpitant. 

Et aimer cette pulsation, c'est la bhakti. S'y attacher, c'est le yoga. Résonner avec elle, c'est la poésie. Le rapport fécond entre nature et culture n'est ainsi rien d'autre que le rapport entre Shiva et Shakti, entre l'être et la conscience qu'il prend de lui-même sous d'innombrables formes et modes.

6 commentaires:

  1. bonjour david :)
    le poème 'essence de la Conscience de narahari '
    en fin de compte tout vraiment tout est offrande a Dieu !
    les moments plus douloureux le sont bien moins puisque offert...
    cela ressemble a l'acceptation de tout ce qui Est ...
    se sentir mal est l'hommage suprême :)
    Merci !

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  2. petite question david :)
    toujours le même poème..
    les defauts sont l'hommage le plus haut, car ils anéantissent l'égo.
    donc,c'est bien parce que nous en prenons conscience qu'ils anéantissent l'égo ?
    quel est votre avis..

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    1. Oui et non. La prise de conscience de nos défauts est bonne dans la mesure où, dans l'ignorance il est impossible d'évoluer. Mais non, car il ne faudrait pas, ensuite, ruminer à l'infini nos défauts. Au fur et à mesure que je prends conscience de mes défauts, je retourne au silence vivant qui prend le relai. Encore et toujours, ce retour au silence vivant.

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  3. une annnée d'exeption pour tous ! :)

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  4. bonjour david nous ne pouvons plus lire les commentaires...

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Pas de commentaires anonymes, merci.

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