dimanche 13 octobre 2019

Présence substantielle de Dieu et transformation en Dieu : voie directe ou progressive ?

une seule lumière, une infinité de rayons uniques


L'autre jour, un ami me demandait : 
Si tout est déjà conscience, pourquoi "plonger en soi" ? Pourquoi aspirer à une expérience (spéciale ?) si toute expérience est également l'absolu ? Pourquoi ne pas se contenter de cette intuition ?

Oui, c'est une vraie question : Si tout est Ce Qui Est, pourquoi aller chercher plus loin ?

Cette approche existe. Pour moi, elle me laisse avec le sentiment que quelque chose manque. Il y a l'intuition. Mais il y a aussi l'expérience, avec ce qu'elle implique d'évolution, de progrès, de hauts et de bas, d'effort aussi. Mais pourquoi, si tout est Ce Qui Est ?

Jean de la Croix offre cette piste, il distingue entre l'Être pur, qui est toujours déjà Ce Qui Est ("la présence substantielle de Dieu") et l'union intime et transformante en Ce Qui Est ("l'union et la transformation de l'âme en Dieu"). Cette distinction me semble pertinente et utile.

Il décrit ainsi le premier aspect, dans sa Montée du Carmel (II, 5, 3) :

"Pour entendre que est cette union [=cette transformation de l'âme en Dieu] dont nous traitons,
il faut savoir que Dieu est présent en toutes les âmes, fut-ce celle du plus grand pécheur du monde, et qu'il y est présent en substance. 
[Qu'est-ce à dire ? Comment en être certain ? En quel sens Dieu est-il présent, si je ne le sens pas ?]
Et cette manière d'union est toujours [déjà] faite [=accomplie] entre Dieu et toutes les créatures, grâce à laquelle il les conserve en leur être ; de sorte que, si elle venait à manquer, elles s'anéantiraient aussitôt et ne seraient plus.
[Autrement dit, Dieu est d'abord et toujours déjà l'être de tout ce qui est ; "je suis" : en ce sens, je suis toujours déjà uni à Dieu ; Dieu est l'être ; sans lui, sans cette union substantielle, sans cette "union" qui consiste à être Ce Qui Est, rien ne serait ; ça tombe sous le sens ; Mais si tout est toujours déjà Dieu en substance, alors à quoi bon la vie intérieure ? Il répond :]
Quand nous parlons de l'union de l'âme avec Dieu, ce ne sera pas à propos de cette présence substantielle de Dieu qui est toujours [déjà] faite en toutes les créatures [car certes, il serait vain de chercher à faire ce qui est déjà fait],
mais de l'union et de la transformation de l'âme en Dieu qui n'est pas toujours faite,
[Il y aurait donc une autre union, d'un autre ordre que Ce Qui Est. Qu'est-ce ?]
mais qui se fait seulement lorsqu'il y a une ressemblance d'amour.
Et celle-ci se nommera union de ressemblance, comme l'autre s'appelle union essentielle ou substantielle."

"Une ressemblance d'amour" ? 
De quoi parle-t-il ?

Il veut dire qu'en plus d'être, nous désirons. En plus d'avoir un entendement, c'est-à-dire une faculté de voir l'invisible, de contempler Ce Qui Est, nous avons un coeur (une "volonté", aussi appelée libre-arbitre) qui est aussi fait "à l'image et ressemblance" de Dieu. Mais, à la différence de notre être, qui ne peut être que Ce Qui Est, notre coeur peut s'écarter de Ce Qui Est, de Dieu, de l'être. Je peux imaginer, désirer, vouloir autre chose que l'être. Je peux vouloir contre Ce Qui Est. Et par conséquent, même si, comme tout ce qui est, je suis déjà Ce Qui Est, je puis encore m'en écarter. Et c'est ce que nous faisons tous à chaque instant, en nous détournant de la vibration la plus profonde de notre être. Quand je veux ce que je veux, je suis dans l'égoïsme, je me dresse contre Ce Qui Est, et je m'en éloigne, je "passe à côté", quand bien même "je suis", étant tout entier, toujours déjà, de cet être qui est nécessairement, par essence, Ce Qui Est. Et donc, tout en étant déjà Ce Qui Est, je m'en éloigne par mon coeur, par mes choix, instant après instant. 
Par conséquent, "je suis", mais je consacre mon être que je reçois de l'Être, à être autre chose, à être contre Ce Qui Est. Et donc j'aspire à me réconcilier, à m'unir avec Ce Qui Est.
Car je vois que je ne suis pas seulement Ce Qui Est : je suis aussi désir, liberté, choix ; et donc, je porte en moi la possibilité d'errer, de me tromper, de m'égarer. Je peux "m'identifier à" : cette liberté ouvre la porte de tous les possibles, y-compris les pires. Même si "je suis". Car enfin, je vois que je ne suis pas simple, comme cette pierre. Elle, elle est. Rien de plus. Elle est simple. Elle est seulement ce qu'elle est. Toute son union à Dieu est dans son être, dans sa simple présence, car elle n'a nullement le pouvoir de s'écarter de son être. Mais moi, c'est différent. En plus d'être, je suis conscient. Imaginant. Pensant. Choisissant. Et cette "conscience de" introduit la possibilité d'un décalage entre "je suis" et ce que je choisi de faire de ce "je suis". Je peux choisir un "je suis David", "je suis grand, vieux, riche, ceci, cela"... Je suis "libre" signifie que j'ai le choix. Ce Qui Est me fait ce don, car Ce Qui Est, n'est pas seulement Ce Qui Est, mais aussi désir, choix, imagination, pensée, jugement, bref liberté. Liberté. Et donc, ça n'est pas tout d'être ; il faut encore aimer Ce Qui Est. 
"Être" est toujours déjà. Mais aimer... Vouloir Ce Qui Est, ou faire de ma liberté un seul mouvement avec la liberté de Ce Qui Est... Cela est une autre union, qui n'est pas toujours déjà faite. Elle reste à faire. Toujours encore. Peut-être à jamais. 
Bien sûr, on peut dire que "aimer Ce Qui Est" n'est rien d'autre que "réaliser que Ce Qui Est est toujours déjà ce que je suis et tout ce qui est. Sans doute la "transformation de l'âme en Dieu", à faire car elle n'est pas toujours déjà faite, consiste à réaliser que tout est, toujours déjà, uni à Dieu, du seul fait d'être. Oui. Mais cette réalisation est du coeur, du désir, de la volonté, de l'affect en moi. Et donc, elle peut toujours évoluer, s'approfondir ou régresser, car je reste, toujours et à jamais, libre. Il n'y a sans doute pas de réel retour en arrière possible. Mais l'évolution, avec ses semblants de hauts et de bas, est de l'ordre du fait. Car je ne suis pas "être" pur et simple ; non, je suis "acte d'être", je suis liberté de me faire être, ainsi et autrement. C'est ce pouvoir, vertigineux et inouï, qui justifie la vie intérieure, le chemin spirituel. 
Ça n'est pas tout d'avoir l'intuition, aussi immédiate soit-elle, que "je suis". Encore faut-il l'aime, m'y accorder, l'épouser, m'y laisser transformer, y mourir et y renaître, instant après instant, jour après jour.
Voilà pourquoi le débat sur la voie "directe" ou "progressive" m'a toujours laissé perplexe. Car enfin, la voie est directe, puisque, comme le rappelle Jean de la Croix, tout est Ce Qui Est. Mais elle est aussi "progressive", car encore me reste-t-il à aimer, à vouloir, à désirer, à penser, à mémoriser, à sentir, bref à incarner. A mettre tout mon être en harmonie avec Ce Qui Est, avec ce que je suis toujours déjà. Me laisser recréer, transformer en Dieu : voilà la progression, progression dont le moteur est l'intuition directe que tout est toujours déjà Ce Qui Est.

4 commentaires:

  1. de toute façon il n'y a que Dieu qui décide..un pas en avant, un en arrière, et comme dit luis ansa 'pardonne moi Seigneur, aujourd'hui
    je sais que je vais t'oublier, mais toi je t'en prie ne m'oublie pas..'
    nos choix aussi peuvent etre la Vie qui se déguise pour nous tester :)
    et puis ne peut t'on pas mélanger ces deux voies..

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  2. bonjour david :)
    dites moi...certes on peut melanger la voie progressive et la directe..
    mais quelle est de ces deux voies celle qui fait que l'on progresse vraiment ?
    ou les deux associées...

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    Réponses
    1. Bonjour :) , ce sont les deux ensemble qui permettent de progresser. Grâce à la voie directe, l'assurance que tout est déjà accompli, car rien ne peut être séparé du but ; et grâce à la voie progressive, un émerveillement qui n'en finit pas.

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  3. un Grand Merci..c'est ce qu'il me semblait aussi..

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Pas de commentaires anonymes, merci.

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