L'intégration de la pensée dans la vie intérieure est la chose la plus difficile de cette vie.
Il semblerait que, soit nous nous perdons dans nos réflexions, soit nous nous frustrons en refusant de penser.
Le remède est peut-être de "penser en Dieu" pour parler comme au Grand Siècle.
Dieu est le silence intérieur, au centre de nous comme de tout, en lequel chaque être baigne comme l'éponge en la mer.
"Penser", c'est faire oeuvre de prudence dans les affaires du monde, par exemple décider si "ma fille doit rentrer à 22 heures ou bien à 23, comme ses amies". Presque toujours, nous sommes distraits par ces dilemmes. Ou bien, nous demeurons dans le silence intérieur, mais nous craignons alors de paraître ineptes, d'être une mauvaise mère, etc.
Un maître de vie intérieure du XVIIe siècle nous répond :
Ne voulant et ne pouvant plus penser amoureusement qu'en Lui, Lui est comme obligé de penser plus particulièrement en nous, veillant avec une attention continuelle et amoureuse sur toutes nos actions, pour connaître et accomplir sa sainte volonté. Lui par sa sainte volonté ne manque pas aux rencontres de nous la faire reconnaître efficacement : notre âme ayant perdu sa conduite humaine et discursive par un profond engloutissement en Dieu, Dieu tout bon et communicatif prend plaisir de se rendre son maître et son directeur particulier. Bref, comme notre union avec Dieu est toute divine et passive, ce n'est pas merveille que nos opérations soient aussi divines et passives. Et que Dieu comme notre seigneur absolu, nous possède pleinement, et nous émeuve divinement, à savoir, ou bien à ignorer, ou à nous ressouvenir, ou à oublier tout ce qu'il faut.
Et comme il arrive quelques fois que la personne par un très grand et continuel recueillement perd la prudence humaine et devient comme stupide et inepte pour les choses du monde, Dieu par une Providence particulière la récompense d'une prudence divine et admirable, et aux rencontres lui inspire efficacement tout ce qu'elle a à faire.
Et un jour Dieu dît à sainte Catherine de Sienne : « Ma fille, pense en moi, et je penserais en toi et en tes affaires. »
Simon de Bourg-en-Bresse, Les Saintes élévations, quatrième degré, chapitre XXX
"Penser en Dieu", c'est réaliser que, quand moi, être incréé, je me tourne vers mon être incréé, je me tourne vers Dieu. Et c'est alors Dieu qui pense.
En un sens, c'est toujours Dieu qui pense, car il n'y a qu'une seule cause efficace. Mais d'ordinaire, je ne le réalise pas, je ne le reconnais pas. D'ordinaire, Dieu me pense, et ensuite "je " pense. Et les pensées me semblent de plus en plus étranges et étrangères, à l'image du reste du monde. Et je me perds en ces entrelacs, l'acte intellectuel devenant peu à peu mécanique bavarde.
Remarquez que tout ceci reste valable si, au lieu de "Dieu", je préfère parler de l'univers, de la nature, du cosmos ou de la réalité. Les implications pour l'intégration de la pensée dans la vie intérieure sont les mêmes.
Et donc, il est possible de penser à partir du silence, de reconnaître tout simplement que les mots apparaissent, vibrent et s'évanouissent dans le silence. Le silence n'est pas étouffé par les mots, les mots ne sont pas vampirisés par le silence. Il y a harmonie, comme dans une belle musique, il y a un respire, un balancement. Parfois les mots affleurent comme des grosses baleines bleues. Parfois elles jaillissent comme des poissons volants. Mais l'harmonie demeure. Et même, les mots, en faisant vibrer le silence, le mettent en valeur, tout comme un son met en valeur l'espace d'une église. Attentif au surgissement des choses, elles me semblent de moins en moins étrangères.
Et aussi, je réalise ainsi que les pensées, comme n'importe quel acte ou mouvement, jaillissent de l'acte universel. C'est cette mise à l'unisson avec l'acte universel qui me rempli de joie, de force et me réconcilie avec la souffrance, la vieillesse, la maladie, la mort et autres accidents de la vie. Il y a vision et affection. Intellect et coeur, la dimension cognitive et la dimension affective.
Donc le retournement vers soi, la plongée au centre, ne détruit pas l'intellect, mais m'ouvre à une autre manière de penser, dont j'ai forcément déjà fait l'expérience, mais que j'épouse ici pleinement. L'explication de tout cela est simple, en vérité : comme tout est dans l'espace, tout est dans la conscience universelle, d'elle et vers elle. Il n'y a pas d'exception. Même la distraction baigne dans la conscience ; même l'oubli, même le bavardage, tout. Avoir cette assurance, basée sur l'expérience ordinaire, nous donne le courage et la confiance pour plonger. Il y a alors yoga, conjonction, union.
Reconnaître que c'est m'univers qui vit, qui s'identifie, qui imagine, qui désire. Voir, sentir qu'il n'y a pas de séparation, mais continuité d'une infinité de degrés, de nuances, à l'image d'une cascade qui fait un seul mouvement, depuis sa source jusqu'à ses plus fines gouttelettes.
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