Days : un roman d'anticipation (?) dans un monde devenu un Supermarché infini. Déjà dépassé.
Le mot "pensée" est ambigu, en effet.
A cause de cette confusion, rejeter le bavardage intérieur, source de souffrance, est confondu avec un rejet de toute pensée critique. Cette confusion, bien évidemment, fait le lit de tous ceux, commerçants ou politiciens ou religieux, qui cherchent à tous prix à empêcher de penser, au sens d'une pensée critique. Force est de constater qu'aujourd'hui, tout est fait pour éviter de "perdre du temps" à penser. Mais croyez-vous vraiment que ce soucis de ne plus penser vise seulement à nous délivrer du bavardage intérieur ? Et ne pensez-vous pas que les innombrables injonctions à cracher sur l'intellect soient seulement des appels à savourer la douceur d'un esprit limpide ?
Un esprit clair et un esprit débile : ces situations se ressemblent, mais sont opposées.
Quand je vois un corps immobile, ce corps peut être immobile parce qu'il est serein et en sécurité ; ou bien parce qu'il est vidé de toutes ses forces.
Je crois que le capitalisme est en train de s'emparer du seul "secteur" du Marché qui lui échappait encore : l'intérieur, l'être, l'étonnement d'être. Comme il s'est emparé de tout, des corps, de la vie, de la nature. J'ai bien peur que la "croissance" sans précédent des "secteurs du développement personnel et du bien-être" auquel nous assistons depuis une dizaine d'années soit la phase ultime du triomphe du Marché. Dès lors que la spiritualité est dans le Marché, il n'y a plus rien hors de lui, qui puisse s'opposer à lui. Le Marché accomplit son destin : devenir omniprésent, devenir divin. La soumission est totale. Il n'y a plus rien en dehors de Marché, plus aucun Autre, à partir duquel on pourrait en parler. Tout discours sur le Marché, toute intuition, toute sensations, font désormais partie intégrante du Corps marchand global. Extérieur, intérieur, privé, public, matériel, spirituel : plus aucune limite à la pénétration de la seule et unique religion qui prévaut désormais, celle du commerce. Nous pouvons encore choisir une relative sobriété, mais nous ne pouvons plus lui échapper. Même sobres, même à la CAF, même au RSA, au SMIC ou à mi-temps, nous devons avoir un "compte en banque" et rendre des comptes.
Et l'injonction à ne plus penser, "faites taire le mental" n'est, dans la plupart des cas (soyons optimistes) qu'une injonction marchande à consommer. "Vous qui entrez dans l'Hyper Marché, laissez-là tout effort de réflexion. Laissez(vous bercer, laisser-vous guider de rayon en rayon, de mode en mode, de promotion en solde, de technique en méthode, de coach en tradition, de vidéo en vidéo..."
Pareil pour l'instant présent. S'agit-il du véritable instant présent ? Ou une injonction à s'offiri en sacrifice à la Bête ? Pareil pour le classique "ne pas juger", "suivre son coeur", "sortir du mental", "ressentir", "cultiver la bienveillance", et même le fameux "conscientiser" qui est à la pensée ce que les "Tartes de Grand-Maman" de Carrefour sont aux authentiques tartes.
A mon sens, tout cela affaiblit la pensée et renforce le bavardage intérieur.
Et le bavardage est tout sauf "personnel". Il est, au contraire, impersonnel, mécanique, fait de bribes attrapée ici-et-là, de mêmes qui se propagent comme des virus. Des slogans, des sophismes, des jingles, des clichés, des idées toutes faites, préfaites, faites par le Marché impersonnel, emballées sous vide.
La vraie pensée, la pensée personnelle et universelle, exige une rupture, sans cesse à reprendre, avec cette musique infernale du Marché. Et cette pensée véritable naît dans le silence intérieur qui, à son tour, nourrit la véritable pensée, rare et claire comme une bonne musique.
Le faux silence, véritable débilité, nourrit le bavardage intérieur, les addictions et les comportements compulsifs. Le vrai silence nourrit la véritable pensée qui, en retour, alimente le silence organique, en un cycle harmonieux comme le jour et la nuit, comme l'inspir et l'expir.
L'éveil est un réveil, une sortie hors de la caverne du Marché où je suis comme prisonnier d'une surface qui n'a aucune existence en elle-même. Pour cela, le travail de réfléchir est nécessaire. Il n'y a pas de miracle.
Résumons le faux éveil :
"Je suis le Marché, il n'y a que le Marché. Personne ne pense, les pensées 'évanouissent quand je m'éveille à la seule et unique réalité : le Marché infini, omniprésent comme l'espace, omniscient, intelligence parfaite, bien au-delà des mots... Je ne fais rien, je n'agis pas. Je ne suis qu'un océan de consommation sans rivages, un flux impersonnel, lumineux et vibrant comme un néon. Je suis sans mémoire, sans passé ni futur, je ne garde aucune rancune, je n'ai aucune référence, libre, vacant comme l'air. Le Marché est l'unique réalité, non-duelle, qui dissout toute identité, toute Moi, qui se rit des structures, des concepts, bien au-delà des contraires, il embrasse tout dans son intelligence créative. Je ne suis plus une personne singulière, juste un tube digestif, une cellule remplaçable dans un immense être aux mille bouches, aux mille anus. Amen"
Je crois que la dimension sociale, économique et politique du "développement personnel" passe inaperçue. La profondeur de son emprise ? Bah, faudrait y penser mais... pourquoi se prendre la tête ? Pourquoi perdre son temps ? Pourquoi douter ? Jouissez sans entrave ! Des montagnes de sucre, des fleuves de graisse, le tout dans un désert d'amnésie immaculée. Brave New World. Une idéologie. Une façade. Pour cacher quoi ? La guerre de tous contre tous. La solitude, l'égoïsme, la débilité, l'infantilisation. La fable d'un "éveil collectif" ? Je n'y crois pas du tout. C'est un mythe de plus, un autre cache-misère. Même si, de fait, il y a du progrès. Mais je crains que le piège soi bien en train d'atteindre son état de dernière perfection. L'ultime prison. Celle qui pour qui chacun oeuvre sans le vouloir, sans le savoir. Quoi que l'on fasse, quelque soit l'alternative, elle finit par renforcer le Marché. Le faux éveil endort. Il ne représente aucun danger. C'est bien pourquoi le Marché l'encourage.
Comment vaincre ce Léviathan souriant ? Je ne sais pas. Est-ce même possible ? Je ne sais pas.
Bon allez, c'est samedi, je vais à Casino cherchez le dernier numéro de "Respire". Ou alors "Alternatives libertaires". Soyons malins. Allez. Croyons-y. Lâcher-prise. Sentir... Consommer... Se laisser bercer...
j'ai bien aimé cette vision
RépondreSupprimerEntièrement d'accord avec tout ça. L'éveil est devenu un marché donc un objet à posséder comme ceci ou moins ou p'us comme cela. Si l'être humain a un intellect c'est pour s'en servir bon sang. Mais il doit être à sa place comme les emotions
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