Quand nous avons une "expérience d'éveil", nous avons ensuite l'impression de la perdre. Cet "éveil" a lieu à telle heure, à tel endroit, mais à présent, il a disparu. Et cette fuite du meilleur est frustrante. Nous avons le sentiment de manquer de pureté, de stabilité, d'alignement, de centration, etc.
Comment stabiliser l'état éveillé ?
Il y a trois approches.
La première est intellectuelle. Elle consiste à réaliser soit 1) que le monde, le corps et le mental ne sont pas réels parce qu'ils sont impermanents ; soit 2) que tout est conscience transparente et bienheureuse. Cette approche semble difficile à beaucoup, qui n'ont peut-être pas les moyens cognitifs (mémoire, concentration, intelligence) pour se donner à une réflexion assez intense. Comme le renard de la fable, ils diront que "c'est juste intellectuel". Elle s'adresse donc à une minorité.
La seconde est la voie de la méditation. Elle consiste à s'entraîner à être vigilant, à ne pas se laisser distraire hors de l'état éveillé. Cet état se révèle entre deux pensées. La pratique est de ne pas se laisser distraire de ce pur silence quand la prochaine pensée apparaît. Cette approche est difficile, car notre attention se fatigue vite. En outre, elle devient ardue quand nous avons des tâches complexes ou multiples à effectuer, ce qui est souvent le cas dans un open space ou face à un écran. Nous devenons alors frustrés de ne pas parvenir à réellement progresser. Nous nous sentons affamés. Cette approche ne pourrait suffire, peut-être, qu'à des personnes qui vivent en ermite.
La troisième est la voie de l'amour. Elle consiste à plonger dans l'élan pur, le désir pur, la vie pure, le "je suis" qui vibre au centre de toutes nos pensées, de chacune de nos sensations. L'avantage de cette approche est qu'elle n'est ni entièrement intellectuelle (bien qu'une claire certitude soit une aide précieuse), ni entièrement cognitive (la vigilance), mais affective. Or, je sais par expérience que l'affect est souvent plus fort que l'intellect et l'attention. De fait, le coeur est maître de la pensée et de l'attention. Quand je suis anxieux, même si je ne sais pas clairement ce qui cause ma peur et même si je n'y fais pas attention, l'angoisse est là. Quand je suis heureux ou amoureux, la joie est là, même si je ne sais pas exactement ce qui me rend heureux, ou même si je n'y prête pas exprès attention. Ici, dans cette approche, je plonge directement dans le "je suis" silencieux", sans avoir besoin de savoir ce qu'il est. Puis sa vibration se poursuit, sans que j'ai besoin d'y prêter toute mon attention. C'est difficile à expliquer, mais c'est ainsi. Il s'agit moins de prêter attention au "je suis" que de s'y donner, s'y baigner, se tourner vers cette source intérieure, cette sensation. Et alors, je découvre que je ne suis plus dépendant d'une compréhension, ni d'une attention. Bien plutôt, lumière et vigilance émanent de cette conversion de l'être vers son centre. Comme l'angoisse ou l'amour, le "je suis" ne me quitte plus, tant que je ne m'en détourne pas vraiment. Et encore une fois, à partir de là, les lumières suivent, l'attention suit. Pourquoi ? Sans doute parce que le "je suis" est... le Je, le centre de mon être. L'état d'éveil, qui est plutôt un état d'amour, se stabilise alors peu à peu, à sa manière et à son rythme. Cela n'est bien sûr jamais totalement achevé, parfait. Et pourtant, c'est finalement la seule voie.
Bien que cette dernière approche soit si profonde, elle a ses difficultés. Mais au fond, elle est la seule vie vraie. C'est d'elle dont parlent les mystiques. Elle est, en droit, accessible à tous. Simple, unie, droite, douce, lumineuse, vraie, totalement vraie, sans artifices. Mais elle exige une confiance, un abandon, une audace, dont peu sont capables, à cause de leur état de contraction, d'inhibition. Cependant, plonger dans le "je suis" est la meilleure préparation à cette plongée même. Les autres "voies" ne sont que tergiversation et tournages en rond, autour de ce cœur patient, évident et mystérieux, éloigné et pourtant si proche.
Plonger dans le "je suis" stabilise ce qui doit l'être et harmonise, corrige, éclaire, guide, rassure, console, éprouve, émerveille. C'est la panacée. Compréhension et attention ne suffisent ni ne sont nécessaires pour commencer. Que l'on se laisse aller à cette profonde extase intime. Tout deviendra limpide, les réponses viendront d'elles-mêmes. Le "je suis" est la réponse. Il est tout et voie vers le tout, moyen et fin complète, tout en tout, tout en tous, meilleur de tout.
Ce "Je suis" est-il équivalent au sentiment d'être ? Ou tout du moins le sentiment d'être peut-il être le vecteur qui permette de rejoindre ce "Je suis"? Si tant est qu'on puisse le rejoindre. Pour ma part je comprend le sentiment d'être comme cette impression étrange qui me saisit quand ayant fait abstraction de tout ce qui peut paraitre impermanent, il me semble alors que subsiste une présence que j'attribue parfois à l'évidence d'exister, à l'évidence trompeuse que moi, petit personnage, j'existe. Cette évidence est trompeuse car elle dépasse d'après ce que j'ai compris mon état de petit personnage. Mon petit personnage, ma personnalité et mon corps apparaissent en réalité dans cette impression d'être même si je n'y fais guère attention la plupart du temps. En tout cas merci pour votre travail !
RépondreSupprimerLe "je suis" n'est pas si abstrait : il est plutôt la vibration ressentie au fond des entrailles, à la fois amour, félicité, vibration et comme la parole muette "je suis je".
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