Certains considèrent que
l'essentiel est de comprendre que tout est fabrication de l'esprit, que cet
esprit est vide, que cette vacuité est félicité, et que cette félicité est
conscience. Cette approche met l'accent sur l'idée que "tout est
esprit", à l'image d'un rêve. En réalisant ceci, les cauchemars tournent
en bon rêves.
Mais, comme le dit Longchenpa, on
reste là au niveau des conjectures, des possibilités, fascinantes certes, mais
hypothétiques. On s'intéresse ainsi à la relativité de toute chose, à la
subjectivité, au contexte, au point de vue. Ce perspectivisme a un certain
pouvoir libérateur. Mais, comme dit Jigmé Lingpa, le point essentiel n'y est
pas même entrevu. Sur le plan de l'expérience, on reste fasciné par les objets,
les pensées, etc. Il est vrai qu'en observant l'objet, la sensation, l'énergie,
etc. sans plus, ils se résorbent dans le silence. Mais une autre pensée
resurgit, et l'on se retrouve distrait, ou bien l'on recommence l'observation
sans jugement, sans fin. Cette méditation ressemble comme deux gouttes d'eaux à
la méditation véritable, mais elle en est aussi éloignée "que le ciel de
la terre".
Il y a deux sortes de méditation
: méditer sur l'objet, ou méditer la conscience, le "sujet". Méditer
l'objet amène un certain calme quand les circonstances sont réunies. Mais le
problème demeure : la dépendance à l'objet, avec ses variantes : dépendance au
maître, à la doctrine, à une personne, une situation. La conscience reste
aliénée dans ses créations infinies.
Alors que si je médite la
conscience, la conscience se libère des objets. Elle recouvre son indépendance.
Elle ne dépend plus - ou de moins en moins -, de la présence ou de l'absence
des objets. Quand le mouvement reprend, il reprend comme un mouvement de conscience,
transparent sur fond de transparence, la forme en harmonie avec le fond. Et même,
il met en valeur ce fond, comme les ronds concentriques formés par un caillou
jeté dans une eau dormante.
Dans son manuel intitulé La Conscience au présent comme maître (Yéshé Lama), Jigmé Lingpa distingue
soigneusement ces deux approches. La première est mentale, la seconde
transcende le mental, d'où son caractère plus direct. Cette voie de la
conscience de soi ne dépend pas d'une position philosophique ou d'un
positionnement mental.
"Ne manipule pas la
conscience du moment.
Laisse-là être telle quelle.
Il n'est pas prouvé qu'elle soit
existante, ou inexistante,
Ni partisane (de telle ou telle
doctrine).
Elle ne distingue pas entre
apparences et vacuité[1].
Elle ne se laisse pas définir en
termes de substance ou de néant.
En cet état, rien n'est posé.
Il n'est pas nécessaire de s'appliquer à la théorie ou à la pratique.
Cette liberté totale du présent
N'est pas une libération.
C'est une clarté qui n'est pas
forgée par l'intellect,
Une conscience qui n'est pas
souillée par les concepts.
L'essence des expériences
N'est pas conditionnées par la
théorie et la pratique.
Elle est une égalité sans
position,
Et un "retour à
l'ordinaire" sans préméditation.
Elle est une clarté indéfinie,
Une immensité sans uniformité."
Conscience au présent, c'est-à-dire
conscience de soi, retournée en un instant à 180° vers soi - grande limpidité équanime.
Comme un réveil inopiné. Cette conscience est libre, autonome. D'où ses vertus sans
commune mesure avec les vertus des méditations mentales.
La nature de l'esprit, ni éternelle
ni temporelle,
C'est ce qui se présente, sans bon
ni mauvais.
Telle est la vision de sagesse, ni
"oui", ni "non".
C'est moi, l’Éveillé en toutes circonstances,
qui l'ai révélée.
Cette nature de l'esprit, sans acceptation
ni rejet,
Perçoit les choses dans une liberté
spontanée,
Sans prendre parti.
Elle est "la grande vision de
sagesse qui embrasse toute chose".
Moi, Éveillé en toutes circonstances,
je l'ai révélée.
Cette nature de l'esprit, sans torpeur
ni agitation,
Est la vision de sagesse de la grande
égalité.
Elle est "la vision de sagesse
de l'état naturel des six sortes (de perceptions)"[2].
Moi, Éveillé en toutes circonstances,
je l'ai révélée.
Cette nature de l'esprit est sans
peur.
Elle perçoit les choses sans attente
ni déception.
Elle est "la vision de sagesse
qui habite la confiance en l'égalité au présent".
Moi, Éveillé en toutes circonstances,
je l'ai révélée."
Les
Six espaces de l’Éveillé originel
"Cette essence des expériences
Est sans fondement.
Laissée à elle-même sans la chercher,
Elle est la plus grande des merveilles.
Cette conscience qui va et vient sans
jamais se mélanger,
Est la plus grande merveille.
Cette grande conscience du présent
Qui repose au présent, indépendante
de tout remède,
Est la plus grande merveille.
L’Amas de joyaux
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