"Non-dualité" signifie
que deux choses ne sont pas deux choses.
Il y a donc autant de types de
non-dualités différents qu'ils y a de couples de contraires (dvandva). Dire
qu'il n'y a pas la personne et le monde ; et dire que le bien et le mal ne sont
pas deux, c'est esquisser deux visions différentes, bien qu'elles puissent être
réconciliées au sein d'une autre perspective, une autre non-dualité plus vaste.
Mais plus profondément peut-être,
il y a plusieurs manières de dire que "deux choses" ne sont pas deux
choses.
Selon le Vedânta, la dualité est
niée au nom d'une réalité indifférenciée. "Non-dualité" signifie
alors que la dualité est fausse, et que cette erreur est annulée par la vision
de la non-dualité. Par exemple, je vois un serpent, puis je m'approche et je
vois une corde : la vision de la corde "annule" a posteriori la
vision du serpent. Autrement dit, les deux visions, celle de la dualité et
celle de la non-dualité ne peuvent coexister dans une même expérience. C'est
pourquoi le Vedânta ne cesse de répéter que celui qui a réalisé la non-dualité
ne voit plus de dualité nulle part. L'ennui est que cette affirmation est à
chaque instant contredite par le comportement du sage qui a réalisé cette
non-dualité. En particulier, ses paroles montrent qu'il distingue son "moi"
de celui des autres, il peut prendre une corde pour un serpent, et ainsi de
suite. En outre, cette vision qui impose la non-différence en excluant la
différence exclue en droit l'Autre. Comme je l'avais proposé ailleurs, je n'y
reviens pas en détails, mais je crois que ce n'est pas un hasard si le Vedânta
est la tradition d'une société close, endogame, de castes. Car, en dépit des
nuances de contextes, la doctrine de la non-dualité tout comme celle des castes
sont fondées sur le même geste : l'exclusion. Dès lors, je ne vois pas très
bien comment l'on pourrait réconcilier ces doctrines, même celle de la
non-dualité à la mode védântique, avec les principes d'une société civile,
ouverte, fondée sur un idéal d'égalité, de droit à la différence. Certains, comme
Michel Hulin, ont cru détecter une tension entre le Védânta et la doctrine des
castes. C'est sans doute vrai pour le Vedânta tardif, éclectique, influencé par
le tantrisme et l'amour divin. Mais il n'en reste pas moins que le Vedânta
lui-même appartient à la même famille de pensée, au même tempérament
philosophique, que le système des castes. D'autres, que je ne nommerais pas, ont
cru intelligent d'affirmer que la doctrine des castes était une façon de
défendre le droit à la différence : "Une place pour chacun, chacun à sa
place". La ficelle est si grossière que ce serait une insulte faite à
votre intelligence, cher lecteur, que de s'y attarder.
D'autres, en revanche, ont défendu une
non-dualité qui intègre la dualité, tout en la dépassant. La vision du miroir
n'annule pas celle des reflets. Ou, sur une fresque, la vision du fond n’anéantit pas le charme des formes. La dualité est l'ornement du fond - de la
conscience une, mais libre de ne pas se ressaisir ainsi.
La réalisation est la fin d'une
croyance, non l'anéantissement de toute différence. Somânanda, dans sa Vision de Shiva (III, 77), précise que
cette vision n'est pas une vision
"réelle" (satya) qui prend la place d'une vision
"irréelle". Selon lui, parler de non-dualité sert seulement à établir
l'égalité de toute chose avec Shiva. Utpaladeva, son disciple, précise que la
vision de la non-dualité est un remède à celle qui hiérarchise radicalement les
êtres et les choses - la vision qui justifie le système des castes. L'unité est
la manifestation de Shiva. La dualité est aussi la manifestation de cette
unité. Et la non-dualité consiste à le reconnaître. L'expérience de la pure
conscience est réelle. L'expérience de la séparation est aussi réelle, car
c'est ainsi que la libre conscience se manifeste à elle-même. Même la doctrine
qui affirme l'unité et qui nie la dualité est incluse dans ce jeu qui embrasse
absolu tous les contraires. Le réel est conscience. L'irréel aussi. Telle est
"l'ultime non-dualité" qui embrasse jusqu'aux rêves les plus
improbables et aux émotions les plus violentes. Tout est conscience de soi,
plus ou moins complète.
La non-dualité par exclusion est plutôt une affaire masculine. La non-dualité inclusive est plutôt féminine, comme en témoigne, à travers les âges, les yoginîs, les béguines, et les femmes qui aujourd'hui, explorent sans limites traditionnelles. Un échantillon typique des bhajans à l'occidentale. Je ne suis pas traditionaliste. Il y a des expressions merveilleuses en dehors de toute tradition, et des psychopathes traditionnels.
La non-dualité par exclusion est plutôt une affaire masculine. La non-dualité inclusive est plutôt féminine, comme en témoigne, à travers les âges, les yoginîs, les béguines, et les femmes qui aujourd'hui, explorent sans limites traditionnelles. Un échantillon typique des bhajans à l'occidentale. Je ne suis pas traditionaliste. Il y a des expressions merveilleuses en dehors de toute tradition, et des psychopathes traditionnels.
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