Somânanda, "félicité de
l'union avec la conscience", est l'auteur d'un traité - La Vision de Shiva
- dans lequel il exprime un panthéisme radical, sans aucun compromis. La
conscience est totalement transcendante, oui, mais totalement immanente, aussi.
Tout est également conscience :
"La déité est en Dieu établi en
lui-même,
Mais aussi bien dans la terre et
autres (éléments)". (Shivadrishti,
III, 18a)
Si tout est conscience, tout est
égal, enchaîne Somânanda, de même que l'or est l'or, que ce soit dans une
pépite brute ou dans un bijou. Tout ce qui existe est une manière pour la
conscience de se manifester sauvagement à elle-même. Car, comme le suggère la
citation ci-dessus, la conscience n'est pas confinée en elle-même
(sva-nishthâ), elle n'est pas prisonnière d'un être statique, d'une essence
immuable, d'un Soi. Elle est elle-même en elle-même, mais elle est aussi bien
elle-même en dehors d'elle-même. Ce paradoxe est la liberté, le cœur battant de
la conscience. Voilà pourquoi la mystique des gens qui vivent cela n'est pas
dualiste : elle inclut la dualité, la
différence, l'Autre.
"Totalement possédé par son désir
Comme par ses trois Puissances,
Il existe comme ceci et comme
cela.
Donc tout est Shiva". (SD, III, 20)
Somânanda ne craint pas les
conséquences de ce panthéisme. Si tout est vraiment Dieu, Dieu change vraiment,
Dieu perd conscience, Dieu devient multiple, Dieu devient dépendant. Il se réincarne,
souffre d'impuretés. On lui marche dessus : toute activité devient un
sacrilège. Toute la culture de la délivrance et de la quête du nirvâna devient
absurde. Tout est libéré. Il n'y a plus juste ni injuste, plus de causes ni
d'effets. Comme tout est une construction imaginaire, Dieu est lui-même un
produit de l'imagination.
Mais Somânanda précise que,
comble du paradoxe, Shiva reste pourtant égal à lui-même. Pourquoi ? Parce
qu'il est conscience. La conscience peut assumer toutes les contradictions. Il
change réellement sans changer, sans cesser d'être ce qu'il est. Contrairement
aux choses qui ne peuvent subir d'altération sans devenir autres, à l'image du
lait qui devient beurre, la conscience change en restant elle-même. Tel est son
Soi qui est le Soi de tout. Telle un yogî magicien, elle se manifeste elle-même
à elle-même, sans matériaux, ni instruments, ni but. En fait, elle est ce qu'elle veut. Pour la conscience, rien n'est
impossible.
"De même qu'un yogî de ce monde
N'est pas fragmenté par la multitude
des corps de l'armée (qu'il désire manifester),
De même le Seigneur n'est pas
fragmenté par les états supérieurs, médians et inférieurs (qu'il manifeste
selon son désir).
Ou encore, c'est comme l'océan et
les vagues.
L'eau qui s'agite n'est certes plus
nommée "eau",
Mais le fait qu'elle est de l'eau
n'est pas pour autant anéanti !
Car, que l'eau s'agite ou pas,
Elle reste de l'eau.
Si vous dites que l'agitation
l'altère, nous répondons :
L'immobilité l'altère aussi bien
!"
Autrement dit, si vous affirmez
que l'unité est "plus" réelle que la dualité, voyez que votre
argument peut aussi bien s'employer en sens contraire. Vous répudiez la dualité
au nom de l'expérience de l'unité. Mais l'expérience de l'unité n'est-elle pas
"réfutée" par celle de la dualité ? Pourquoi ce choix arbitraire de
l'unité ?
Par conséquent la conscience est
absolument égale en toutes ses manifestations.
Et la matière ? L'élément terre,
par exemple, n'est-il pas la négation absolue de la conscience ? Somânanda
reste droit dans ses bottes : il n'y a là aucun défaut de conscience. Même les activités
de la vie quotidienne, tissées de mots, ne sont pas absence de conscience, parce
que c'est la conscience souveraine qui existe ainsi. Les injonctions et prohibitions,
etc., ne sont que des conventions qui font corps avec le libre jeu de la conscience.
Pourquoi la conscience joue-t-elle
? Sans but, ni raison, ni motif. C'est purement gratuit, simplement la grâce (je
résume ici SD, III, 40-53).
Chaque chose est la manifestation
complète de la conscience indomptable, qui se manifeste à elle-même comme autre
qu'elle-même sur fond de parfaite conscience de soi, à la manière d'un acteur.
Très appétissant, ce Somananda. Pourquoi ne pas le traduire en français ? Ce serait magnifique.
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