Le désir est l'ennemi.
Dans toutes les traditions - pas
seulement dans la chrétienne, comme on croit souvent. Au mieux, le désir d'absolu,
ou de Dieu, est privilégié. Mais le désir d'une pomme - par exemple - est
dénigré. D'ailleurs, dans le Livre tout commence par une pomme, image, comme chacun
sait, de bien d'autres choses encore...
Désirer une pomme, c'est de fait
se couper de tout le reste, au service de moi qui plus est - du corps, nœud des
nœuds. C'est la matrice de tous les maux, la boîte de Pandore. Anéantir le
désir, c'est alors anéantir ce qui anéantit ce qui m'anéanti comme plénitude.
Donc exit le désir.
Je ne connais qu'une seule
exception explicite.
Le tantra non-dualiste ("shivaïsme
du Cachemire"). La tradition de la Danse de Kâlî (Kâlî-krama) en particulier.
Tout désir, même celui de cette
pomme - sans doute séduisante, peut être banale ou pourrie - est désir
d'absolu. Pas en un sens métaphysique fort abstrait, mais bien dans le désir
tel qu'il se donne. Qu'est-ce à dire ?
"Lors du désir de créer,
l'objet à créer,
Qui est (aussi) l'objet désiré,
Ne se déploie pas comme séparé
(de la conscience désirante).
Autrement, cette création (désirée)
Dériverait d'un (pur)
"cela" (objectif).
Et le désir de créer cet (objet)
Devrait avoir été lui-même créé
auparavant,
Et ainsi de suite, (sans fin)...
Or, ceci est une régression à l'infini.
Par conséquent, (tout activité)
serait radicalement anéantie !"
Discerner
le Seigneur en l'homme
(Nara-îshvara-viveka)
Autrement dit, le désir de pomme
- qui est "désir de créer la
pomme comme étant goûtée, mangée, etc." - ne fait qu'un avec la conscience.
Il n'y a qu'une
conscience-désir-de-se-créer-comme-pomme.
Au premier instant du désir, il
n'y a que pure conscience-désir-infini. Puis, incompréhensiblement, tel un Big Bang
des plus vierges, l'infini se cristallise en pomme. Ce n'est pas l'objet qui
engendre le désir, mais bien le désir - la conscience - qui engendre la pomme,
ou plutôt qui s'engendre librement comme pomme. Ce n'est pas (seulement) une
idée, mais bien une expérience, la mienne, la vôtre, celle aussi bien de l'ange
ou de la poule d'eau.
Donc anéantir le désir revient à
anéantir la conscience. Ce qui est encore un désir-conscience, un désir de
conscience. Mais c'est un désir incomplet, qui n'a pas reconnu son vrai visage.
Chaque désir est comme une perle enfilée sur le Désir. Chaque désir est donc une
porte vers l'absolu. Si je me plonge dans le premier élan du désir-de-pomme, je
plonge dans la pure, dans l'incroyable conscience de soi. Pareil quand je respire
ou quand je tombe sur un os.
Peut-être Narcisse était-il sur la
bonne voie, finalement ?
Un antiphon de Hildegarde, le premier morceau du disque Symphoniae, l'une des premières et, sans doute, la plus belle interprétation par le groupe Sequentia :
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