Suite du Jeu de la conscience (Bodha-vilâsa), attribué à Kshéma Râdja (Cachemire, XIe siècle) :
tadbhūmikā darśanādyās sarvā eva na saṃśayaḥ /
bhūmikāḥ kṛtrimā yadvan naṭo gṛhṇāti svecchayā // 12 //
tadvad eva cidānandasvecchocchalitabṛṃhitaḥ /
ātmā gṛhṇāti vipulā darśanādyā vibhūtayaḥ // 13 //
Les philosophies et les points de vues
sont tous, sans exception et sans aucun doute,
des personnages (joués) par la (conscience).
Ce sont des rôles factices
endossés librement (par la conscience),
comme par un comédien.
(Car) c'est exactement de cette manière
que le Soi,
épanouit par l'abondance
de son libre désir
qui est la félicité de la conscience,
assume ces immenses déploiement de gloires
que sont les philosophies, etc.
Tout est conscience.
Mais, comme la conscience est libre, absolument souveraine,
elle joue à s'incarner, à prendre des formes définies.
Après avoir exposé les étapes de cette cristallisation de la sève
consciente, Kshéma Râdja développe l'une de ses conséquences :
tous les points de vue, exprimés, dans les doctrines, les religions
et les philosophies, sont aussi le jeu de la conscience,
ses danses et les personnages qu'elle endosse
afin de se dévoiler graduellement,
comme poussée par son élan inné.
Ainsi, toute vision du monde est un moment
dans le dévoilement de la conscience à elle-même.
Aucune philosophie n'est complètement fausse,
aucune n'est complètement vraie.
Mais toutes ne se valent pas.
Kshéma Râdja propose une hiérarchie,
c'est-à-dire un ordre qui s'enracine dans un principe,
en l’occurrence la conscience.
Au bas de l'échelle, la masse des hommes
sans autre philosophie que la recherche du pouvoir.
Puis les bouddhistes qui prennent la conscience pour les pensées,
le Védânta qui l'identifie au vide
et les Jaïns, les partisans des Védas
et des Tantras, le shivaïsme et le vishnouïsme.
Ces doctrines correspondent au
trente-six niveaux de conscience
décrit dans les versets précédents.
Puis, au sommet, il y a la tradition "du Ceur/Corps" (koula)
qui affirme que tout est conscience,
puis ceux qui affirment que la conscience transcende tout.
Se dégage ainsi un mouvement de l'immanence à la transcendance.
Toutes ces philosophies, en effet,
tombent à divers degrés
dans les extrêmes de l'immanence (Shakti)
ou de la transcendance (Shiva).
Seule la révélation de la Triade (Trika),
dévoile finalement le réel
dans sa liberté souveraine et intégrale,
sans privilégier le vide ou la forme, pourrait-on dire.
Le shivaïsme du Cachemire évite donc à la fois
le dogmatisme stupide qui consiste à prétendre détenir
l'exclusivité de la vérité ;
et le relativisme paresseux
qui met tout dans le même panier.
La vérité est honorée en chaque point de vue,
sans que soit oublier que chaque point de vue
est une étape ou un aspect
de la grande éclosion de l'absolu.
Cette inclusivisme hiérarchique
n'est pas un hasard.
Il est la conséquence du non-dualisme "intégral" (parama)
professé par la philosophie de la Reconnaissance.
Ici, en effet, l'Un n'est pas "un" par exclusion ou rejet
de la dualité, mais par réconciliation avec elle,
reconnue comme Shakti inséparable de Shiva.
Chaque formulation est, dès lors, comme une promesse
qu'il s'agit d'accompagner, de nourrir,
un peu comme un enfant,
et non pas de simplement réfuter en bloc.
D'où une philosophie généreuse,
mais aussi, complexe, car cette intégration
passe évidemment par une apparence de complexité.
Mais l'amour 'nest-il pas à ce prix ?
Juste une petite remarque:j'aurais tendance à dire que dans son activité créatrice la Conscience ou la Sagesse née d'elle-même ne cesse de jouer tous les rôles (les
RépondreSupprimerPoints de vue),mais en ce qui concerne la "hiérarchisation" je suis beaucoup plus prudent:je me demande cela ne viendrait pas plutôt de Kshemaradja!Cf la construction en 9 Véhicules chez les Nyingmas ou les Youndroung Bon,etc.
Christian Humbrecht.
Je n'ai rencontré qu'un seul lama qui se moquait de cet attachement (hiérarchisant) des "grands maitres" à leur tradition:Khenpo Tsultrim Gyamtso.
RépondreSupprimerC.H.