Les traditions de sagesse sont fondées sur l'idée que la nature est juste, harmonieuse.
Que ce soit la juste proportion des Grecs, la Providence des Chrétiens ou le karma des Bouddhistes, le monde est interprété de manière à être fondamentalement juste. Tout s'explique. Les incohérences et contradictions ne sont qu'apparentes.
Du coups, la nature offre un modèle rassurant à imiter et dans lequel chacun pourra trouver sa place.
Or, le Nuage (New Age, plus le développement narcissique, l'écologie, le yoga, le bien-être, bref toute la smala au grand complet des grands jours) est encore fondé sur cette idée. Il plane, si j'ose dire, dans ce même éther et nous arrose des mêmes sussurations.
Dès lors, cette idée mérite d'être examinée. J'aime la nature. J'en ai besoin. Je veux dire, je ressens le besoin de sentir l'air, le vent, de voir et d'entendre le vent dans les arbres...
Mais suis-je assez naïf pour prendre la nature comme modèle ?
Peut-être pas, et pour deux raisons principales.
La première est que, dans la nature, on peut trouver des exemples de tout et de son contraire. Ainsi, si je suis communiste pris d'un accès d'égalitarisme dément, je puis certes invoquer les termites. Ou... les fourmis ? Oui, mais non. Car les fourmis, n'en déplaisent à La Fontaine, ne sont pas aussi laborieuses qu'on l'a cru. Selon cette très sérieuse étude, l'oisiveté joue un rôle essentiel parmi ces bestioles apparemment disciplinées. "Apparemment" : tout est là. La science contredit nos préjugés. Et la tradition, ou les traditions, ce sont beaucoup de préjugés. De même pour l'idée que "l'homme est un loup pour l'homme" : maintes bêtes s'entre-tuent et l'homme n'est pas en tête de liste en cette matière. C'est la mangouste qui arrive en tête, non loin des lémuriens et des marmottes. Eh oui. Contre-intuitif, paradoxale, encore. Et de même pour la sexualité ou le sens moral. Or, quand on peut trouver des exemples de tout, on se retrouve avec des exemples de rien. La nature ne peut donc servir de modèle.
La seconde raison est que l'homme, selon ces traditions elles-mêmes, n'a pas de nature. Ou du moins n'a-t-il pas seulement une nature. Outre elle, il a le pouvoir d'aller contre sa nature ou de se construire toute une panoplie de contre-natures - une culture. Du mythe de Prométhée à la Lettre de Pic de la Mirandole, l'homme est le moyeu de la nature. N'étant rien, il est capable de tout devenir, ange ou bête. Imiter la nature, c'est donc d'abord se trouver face à un choix morale. Qu'est-ce donc que je choisis d'être ? Je suis, au lieu de "moi", vacant. Il y a bien de la place pour mille créature, dont certaines n'existent même pas dans la nature visible ! Comment, dans ces conditions "suivre ma nature" ? Il me semble que réaliser cette absence présente des conséquences profondes et terribles. Le Fils de l'Homme n'a nul lieu où poser sa tête. Pour le pire. Pour le meilleur aussi. Que nous le voulions ou non, nous sommes condamnés à choisir. Si nous choisissons "la nature", nous choisissons encore. Rien n'est purement naturel pour nous. Voyez ces végans qui se bourrent de compléments plus ou moins synthétiques... Il est certes possible de réfléchir sur les conséquences de nos actes. Ce conséquentialisme est même la morale. Mais la nature ne nous dit pas ce qu'il faut faire, ni comment vivre. La nature, à dire vrai, est muette, dépourvue de personnalité. Il n'existe pas plus de Gaïa que de Pacha Mama, sauf à titre de métaphore pédagogique.
La nature est donc une source d'inspiration parmi d'autre. Elle est aussi un besoin. Mais elle n'est pas un modèle : je crois qu'il est temps de le réaliser.
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