Pendant longtemps, on a cru que l'espace était sans forme.
En effet, non seulement il n'a pas de forme, il est transparent, intangible ; mais en plus il n'est affecté par rien. Il ne bouge pas. Il ne change pas. Bref, il n'a pas de forme.
Tout change dans l'espace qui ne change pas.
Tout a une forme dans l'espace qui n'a pas de forme.
A ce titre, l'espace était "la reine des métaphores" comme dit le bouddhisme. Dans les traditions non-dualistes en particulier, l'espace est la Porte vers l'éveil. Comme la Présence, l'espace est sans forme, transparent, immuable, immobile, omniprésent, éternel, insaisissable...
Dans le bouddhisme, "voir l'espace", c'est voir en un regard qui éclate, qui s'ouvre, qui s'affranchit de tout repère pour redevenir global, panoramique. L'attention est ainsi libérée, délivrée, relaxée, rendue à son immensité légère. L'attention (c'est-à-dire l'esprit) retrouve sa souplesse, sa fraîcheur, sa disponibilité. C'est le bonheur.
Le Vedânta reprend cette métaphore de l'espace, encore et encore.
Dans la tradition du shivaïsme du Cachemire, la pratique centrale de méditation est une méditation de l'espace, le regard perdu en lui. On retrouvera une pratique semblable dans la tradition tibétaine du dzogchen : plonger l'attention dans l'espace comme on laisse une goutte d'encre se dissoudre dans l'océan.
Or, Albert Einstein a découvert que l'espace bouge. Il a une forme. A l'opposé de notre intuition, on sait aujourd'hui que l'espace est infini, mais qu'il est déformé localement par la matière. De plus, l'espace "gonfle" : c'est l'inflation. Et cette inflation s'accélère, sous l'effet d'une force encore mal comprise.
Cette théorie, dite de la relativité Générale, est l'une des mieux comprise et des plus vérifiée de toute la physique. Un chef d'oeuvre. Une merveille.
Bref, l'espace a une forme. En fait, vous et moi sentons cette forme : nous la sentons comme gravitation. La sensation de lourdeur de notre corps, la sensation d'être attiré vers le bas s'explique par la forme que la masse de la terre impose à l'espace. Jetez un caillou : sa trajectoire courbe est déterminée par la courbure de l'espace, sa forme. Le caillou "glisse" sur la pente de l'espace.
L'espace a une forme. Il bouge.
Or, si l'espace bouge, pourquoi n'en irait-il pas de même de la conscience ?
On peut se demander quelle est la forme de l'univers, la forme globale de l'espace. Deux solutions retiennent mon attention :
- l'espace peut être "fermé". De l'intérieur, on a alors l'impression que cette espace est infini. Mais si l'on va dans une direction sans dévier, on finira par revenir au point de départ. C'est un "faux" infini, une apparence d'infini, dans un espace réellement limité, un peu comme dans une salle remplie de miroirs qui se reflètent les uns les autres.
Si l'on transpose à la conscience, la conscience pourrait "vue de l'intérieur" (du point de vue de la Première Personne) donner l'apparence d'être infinie, alors que, vue de l'extérieur (dans un autre espace !), elle est limitée, finie. L'immensité de la conscience serait, en somme, une illusion.
- l'espace peut être "plat". Dans ce cas, il est proche de ce que nous sentons intuitivement. Il est infini et sans forme globale, bien qu'il soit déformé localement par la matière. Mais, même dans ce cas, qui laisse a priori ouverte la possibilité d'une conscience infinie comme cet espace infini, il y a en réalité une limite de l'espace, une limite temporelle : l'espace, même "plat", peut gonfler, s'étendre, depuis une singularité, un point initial. Le fameux Big Bang. A l'instant zéro, l'espace n'existe pas, ou alors il est de la taille la plus petite possible, la "longueur de Planck". Bref, l'espace bouge. Sa forme globale demeure, il gonfle à l'infini, mais il gonfle. Là aussi, si l'on transpose à la conscience, cela signifierait que la conscience a un début. Dans le cas d'un univers plat (qui est aujourd'hui l'hypothèse la plus crédible), l'univers gonfle. Dans quoi ? Pas dans l'espace, car c'est l'espace lui-même qui est en expansion. Mais, disons, dans une sorte de multivers, dans un champ de possibles, le "vide quantique". Il y aurait donc quelque chose de "plus vaste" que l'espace, comme s'il y avait quelque chose de "plus vaste" que la conscience.
Ou alors, on peut considérer que, comme l'espace, la conscience est à la fois en expansion et infinie. Idée étrange, mais en accord avec la théorie du Big Bang, c'est-à-dire avec un espace à la fois infini et en expansion.
Reste l'idée d'un espace capable de se déformer. Un espace souple, plastique, vivant. A l'image d'une conscience frémissante, mobile, plastique, liquide. Une conscience éternelle, immortelle, mais palpitante, en perpétuelle expansion et contraction, comme un cœur immense.
C'est la conscience dont parle le shivaïsme du Cachemire.
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