dimanche 6 septembre 2020

Alchimie des pollutions

Que faire si l'on trouve un oiseau mazouté ? - Sciences et Avenir



La pollution, générée par la puissance humaine elle-même, est une menace pour l'espèce humaine.

Mais qu'est-ce que la pollution ?

Regardons ce que le shivaïsme du Cachemire peut nous dire sur ce point vital. Cela nous éclairera aussi sur la vie intérieure, la vie véritable.

Selon l'enseignement de Shiva (shiva-shâsana), il y a une triple pollution : kârma, mâyîya et ânava.

Selon l’interprétation dualiste (siddhânta), ces trois pollutions sont trois sortes de substances, plus ou moins subtiles. Ainsi, le karma est une substance relativement grossière qui "colle" à la conscience et l'empêche de s'épanouir. Par conséquent, seule une action, une pratique, peut nettoyer la conscience. Principalement la pratique rituelle, à commencer par l'initiation. Mais Mâyâ est aussi une sorte de substance, une matière, ainsi que la pollution "individuelle" (ânava), la plus subtile. Comme ce sont des substances, à chaque fois, c'est une action qui va y remédier, comme on nettoie une plage couverte de mazout. Voilà pourquoi le shivaïsme initiatique dualiste (siddhânta), en lien avec le shivaïsme publique (autrement dit la religion shivaïte), met tant l'accent sur les pratiques. Est ainsi décrite une véritable manière de vivre, d'échanger, de gouverner, de fêter, d'organiser la vie commune. 

Le shivaïsme non-dualiste (autrement dit, le tantrisme non-dualiste, le shivaïsme du Cachemire, les traditions kaula, etc.) voit la pollution autrement. 

Selon cette tradition plus ésotérique, ces pollutions sont des croyances, des jugements erronés. Ainsi, le karma est la croyance (erronée) selon laquelle je ne serais qu'un individu soumis à des loi inflexibles. Mâyâ est la croyance en l'existence indépendante de ma conscience, d'un monde étranger. Ânava est le sentiment d'être incomplet.

Par conséquent, il y a trois niveaux de remèdes anti-pollution :

Au niveau extérieur, politique, moral et environnemental, il y a les pratiques, l'éthique : rituels, symboles de reliaison, de réconciliation de l'individu à l'espèce, de l'espèce au cosmos. Le "yoga" en fait partie. Il est une sorte de rituel parmi d'autres, c'est-à-dire une sorte de langage symbolique qui remet chaque chose à sa place dans la Grande Chaîne de l'Être. C'est le remède à la pollution karmique. 

Mais cela ne suffit pas. Nous n'avons pas seulement besoin de faire. Nous avons aussi besoin de comprendre.

Au niveau intérieur, psychologique, intellectuel, mental, il y a donc la philosophie : écouter, réfléchir, contempler sur les questions fondamentales, comme "Qui suis-je ?" "Où suis-je ?", et ainsi de suite. C'est aller au fond des choses, éclairé par la lumière de la raison, elle-même inspirée et nourrie par les lumières de celles et ceux qui nous ont précédé. Inspiré, mais non pas esclave des Anciens. La tradition est là : il serait présomptueux de l'ignorer ; mais il serait fou de s'y soumettre aveuglément. Dans tous les cas, tout dépend de notre libre-arbitre qui, quoi que limité, est bel et bien une réalité. 
Par cette pratique philosophique, nous retrouvons du sens, un cadre global à notre vie extérieure. C'est le remède à la pollution de Mâyâ, la croyance en la dualité, à la croyance en un monde totalement indépendant de la conscience. C'est la découverte et la reconnaissance que la conscience est essentielle, et non un accident perdu dans l'infini. Et, du reste, même si, en un sens, la conscience individuelle est perdue dans un infini physique, la contemplation de l'infini cosmique nous aide aussi bien, je crois, à nous laver de la pollution de "mâyâ", cette pollution qui consiste à oublier ce qui est plus vaste que notre personne : le cosmos, le divin. 

Mais cela ne suffit pas. Nous n'avons pas seulement besoin de faire et de comprendre. Nous avons besoin de sentir.

Au niveau le plus intime, en effet, nous avons une intuition d'être incomplets. Cette sensation est une intuition, ce qui veut dire qu'elle est antérieure à l'intellect, au "mental". La compréhension intellectuelle, si claire et profonde soit-elle (et certes, elle peut s'approfondir), ne suffit donc pas. Dès lors, il y a ce qui relève de la vie proprement intérieure, au niveau du ressenti le plus intime, avant même toute idée, avant toute conviction. 
Et pour remédier à ce mal-être résiduel, à ce noyau d'obscurité, nous avons besoin d'une force plus profonde que l'intellect, antérieure à lui. 
Et c'est la vibration du coeur, découverte et reconnue à la source de tout mouvement individuel : par exemple, à la source de toute pensée, de toute parole, de tout mouvement corporel. 
Car cette pollution, dite "individuelle" (ânava) n'est pas intellectuelle, ni mentale. Elle est bien plutôt une croyance implicite à la base de toutes les opinions, un présupposé inexprimé, mais qui s 'exprime indirectement dans les pensées et les actes. C'est une sensation de mal-être. Et son remède, c'est donc la sensation de bien-être. C'est plonger en elle. S'immerger en elle. Se laisser envahir par elle. Encore et encore. 

C'est une pratique non physique, non mentale, mais qui est compatible avec toutes les autres pratiques, physiques et mentales. De fait, pour nettoyer cette pollution, la plus subtile, il faut un moyen subtile : l'absorption permanente dans la vibration du cœur, dans la sensation "je suis", dans l'acte d'être. Ceci ne contredit aucune pratique, car en réalité, tous les actes, même les plus extérieurs, ont leur source dans cet Acte pur, l'acte d'exister, "je suis je", cette douce pulsation toujours présente en toute expérience, pensée ou acte corporel.   

Il y a donc trois niveaux de pratique pour purifier ou transmuter les trois niveaux de pollution : 

1) contre la soumission aux lois de la nature, il y a les actions naturelles. Yoga, sport, rituel, artisanat, construction...
2) contre la soumission à la croyance en la séparation, il y a la philosophie, la réflexion, la science.
3) contre la soumission à la sensation de mal-être, il y a la plongée dans la vibration du cœur.

Telle est, en bref, la triple solution du shivaïsme du Cachemire aux problèmes de pollution. Une alchimie complète, dont le fruit est la liberté, c'est-à-dire la participation au plus intime du cosmos.

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