Il n'y a qu'une seule réalité. Mais plusieurs manières de la décrire : "L'être est un, mais les sages en parlent de différentes manières" (ekam sat, bahudhâ viprâ vadanti).
Parmi ces approches, il y les approches non-dualistes.
Parmi elles, il y a la Fin du savoir (Vedânta) et la Reconnaissance (Pratyabhijnâ). La réalité n'est pas deux entités (advaita), comme nous le croyons, mais une seule (ekameva advitîyam). Le Soi, qui nous sommes vraiment, est toujours déjà éveillé, libre et achevé.
Par Vedânta, j'entends ici la tradition de la non-dualité absolue (kevalâdvaita) telle que formulée par Gaudapâda, Shankara et Sureshvara. Mais, à l'intérieur même de cette tradition, il y à d'autres styles. Trois, en gros : le style, donc, de Shankara, pragmatique et directe. Le style de la Bhâmatî, plutôt idéaliste. Et le style du Vivarana, plutôt réaliste, quoique non moins directe que Shankara. Mais il y a d'autres interprétations du Vedânta (que l'on appelle aussi "les Upanishads", corpus des douze Upanishads les plus anciennes, entre -800 et +300) : à côté de celles des adeptes de Vishnou, il y a celles, shivaïtes, de Bhâskara, de Shrîpati et de Shrîkantha, entre autres. C'est que l'Inde est le berceau de la non-dualité et le sanskrit est sa langue. Ce patrimoine non-dualiste est immense.
La Reconnaissance est un non-dualisme fondé sur un autre corpus de textes, les tantras, révélés par Shiva à la déesse sous différentes formes. Mais la Reconnaissance est aussi une interprétation des Upanishads, notamment de l'Upanishad Shvetâshvatara.
A côté de la Fin du savoir et de la Reconnaissance, il y a bien entendu d'autres formes, genres et espèces de non-dualismes, dont ceux, brillants et très riche, du genre bouddhiste.
Quelle est la différence entre la non-dualité du Vedânta et celle de la Pratyabhijnâ ?
J'y ai consacré plusieurs séances au CIPh, mais disons que, pour le Vedânta, toute expérience repose sur l'aveuglement (avidyâ) qui cache le Soi, notre vraie nature et l'essence de toute chose, aveuglement sur la base duquel les mondes en leur variété sont projetés. A ce schéma simple, la Reconnaissance ajoute simplement que cet aveuglement repose lui-même sur la liberté souveraine qui caractérise le Soi. A partir de cette différence subtile se dessine une compréhension légèrement différente de la liberté en cette vie (jîvan-mukti), autrement dit du Souverain Bien.
Cet extrait de La Doctrine secrète de la déesse Tripurâ exprime clairement la différence entre les deux styles :
La suprême Déesse, la conscience absolue,
Qui a pour essence le Je en sa plénitude,
Ne cesse de manifester l'univers comme un reflet dans un miroir,
Grâce à la transcendance de son pouvoir de mâyâ appelé "liberté".
(Trad. M. Hulin, p. 214)
N.B. : dans ce billet, j'adopte délibérément un ton sérieux, j'emploie des mots sanskrits et propose quelque références ainsi que des distinctions, afin de rappeler que la non-dualité est transmise dans des traditions qui proposent des méthodes pour parvenir à l'éveil à soi. Il ne s'agit pas simplement de fumer un pétard avec un sâdhu, ni de s'asseoir aux pieds d'un "maître" pour recevoir ses "bonnes vibrations", ni de chercher un accomplissement émotionnel en prenant je ne sais quel avatar dans ses bras, ni de se concentrer pour "se centrer" avant un WE au Seychelles, ni de vouer un culte à des émotions prises pour le réel, ou quelqu'autre ersatz de la même farine. Ces formes de spiritualités, souvent confondues avec la non-dualité, sont à cette dernière ce que les fastfoods sont à l'authentique gastronomie.
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