Le manuscrit des Stances pour la Reconnaissance dans la main gauche de Daksinâmûrti, incarnation de la pédagogie non-duelle
Pour beaucoup d'adeptes de la non-dualité, le monde n'est qu'un faux-semblant dépourvu de sens, neutre, impersonnel et aussi significatif qu'un meuble Ikéa. Une énigme sans importance.
Mais dans le tantra non-duel et la philosophie tantrique de la Reconnaissance (pratyabhijnâ), le monde est le nectar d'immortalité, une substance magique source de plénitude.
C'est ce que dit Abhinavagupta dans ses stances augurales à ses deux commentaires au dernier chapitre des Stances pour la Reconnaissance (Pratyabhijnâkârikâ). Après avoir expliqué en détail que le Soi évident est le maître absolu parce qu'il connait tout et peut tout, l'auteur des Stances, Utpaladeva, résume les points essentiels de cet enseignement dans un dernier chapitre, récapitulation résumée à son tour dans ces deux stances de bon augure :
Nous célébrons ce Shiva
qui rend manifeste à ses amoureux
leur Soi,
riche de la non-séparation d'avec
la prodigieuse variété
des sujets, des objets
et des expériences innombrables. 1
Je salue ce Seigneur de l'ambroisie
qui mène à la plénitude
le monde
- ce nectar d'immortalité
qui s'écoule du Point -
monde qui s'épanouit
au sein de ce royaume
qu'il est lui-même
et qui enveloppe tout. 1
Votre texte est très intéressant comme d'habitude et merci aussi pour ces merveilleuses citations. J'y ferais quand même une remarque. Il me semble qu'accoler illusion à absurde est trompeur. Une illusion n'est pas forcément absurde. Je dirais même que c'est parce que l'illusion a un sens, et même une infinité, qu'elle illusionne si bien ! Si Shiva se dissimule si habilement, c'est parce que Maya est séduisante, et pourvoyeuse d'une multitude de sens. C'est en voyant que l'illusion est illusoire, c'est-à-dire qu'elle a un caractère fondamentalement changeant, divers, toujours fuyant et insaisissable que l'on parvient à distinguer ce qui ne change pas et n'est pas illusoire du tout : la Réalité du n'est pas ceci, n'est pas cela. C'est la Réalité immuable toujours présente qui donne un sens momentané aux apparences. S'il n'y avait pas cette Réalité toujours présente en arrière-plan, l'illusoire ne fascinerait plus. Or percevoir la Réalité ne rend pas l'illusion absurde, mais au contraire remplie du sens premier de désigner la Réalité, d'être son miroir. Tout me montre, se dit enfin la Réalité à elle-même. Ainsi l'Amour de la Réalité pour son Illusion, se révèle-t-il et parachève tout en Beauté. Mais quand la Réalité se prend pour les apparences, perçues alors comme réelles, alors là, tout devient absurde et motive pour une recherche du vrai sens, qui ne se trouve que dans la Réalité. Perçues comme réelles, immuables, les apparences se révèlent dans leur délitement, leur impossibilité à se maintenir, maintien de soi qui est la caractéristique même de la Réalité. Leur facticité les expose en tant qu'illusions, et là elles perdent leur réalité désirée durable, elles reprennent leur juste place, leur sens.
RépondreSupprimerEn revanche, l'absurde est un moment de l'illusion qui ne permet pas de la voir en tant que telle, car dans l'absurde, cette déception, subsiste encore une croyance à la réalité de l'illusion. Ce qui peut conduire au suicide, pour se débarrasser de cette "illusion", de cette absurdité qu'est l'absurde en fait, une fois pour toutes, pour n'en être plus obsédé. D'où les paroles de Nisargadatta disant que son enseignement s'adressait tout particulièrement aux suicidaires !
Merci pour votre commentaire plein de finesse !
RépondreSupprimerEn effet l'illusion n'est pas absurde. Selon le Vedânta tardif, elle n'est pas un défaut de l'absolu, mais son ornement (mâyâ naiva brahmanah dûshanam, sâ tu bhûshanam).
En revanche, la critique adressée par la Reconnaissance subsiste : la Mâyâ est considérée par les Védântins comme une entité irrationnelle et incompréhensible. Qu'elle dépasse notre raison, soit. Mais pourquoi ne pas la voir comme la manifestation d'une Raison supérieur ? Ce que la Reconnaissance veut dire, c'est qu'il y a continuité entre la réalité et l'illusion. Alors que le Vedânta met l'accent sur la rupture.