dimanche 9 mai 2021

Le désir, élan vers le divin ou force aveugle ?



 Selon le Tantra, comme selon d'autres traditions, le désir est un élan vers le divin. Même chez l'animal, même dans les choses inertes, il y a cet élan. Pour le dire de façon plus nette : tout mouvement est mouvement de l'absolu vers l'absolu. La gravité elle-même, et la solidité des corps, sont des manifestations d'un désir divin, d'une force qui dépasse l'apparence anecdotique du désir. 

Ainsi, tout fait sens ; force, mouvement, élan, instinct, pulsion, besoin, désir, volonté, choix, tout participe d'une même énergie unifiée, que le Tantra nomme "frémissement universel", sâmânya-spanda, ce mouvement commun à tout.

Cependant, quand on observe la Nature, on constate plutôt que le désir est absurde. 

Il n'a pas de but divin. A vrai dire, il n'a pas de but du tout, en dehors de la perpétuation. La solidité de la matière perpétue cette pierre dans son être. Le désir sexuel, comme l'instinct de reproduction, perpétuent l'individu et l'espèce. Le désir, sous la forme de l'instinct, se présente alors davantage comme une "ruse de la Nature". Et croire que l'instinct manifeste quelque chose de divin, fait partie de cette ruse. 

L'amour, sous ses différentes formes apparentes, recouvre une même force aveugle, c'est-à-dire qui n'a d'autre but que la reproduction du cycle de l'existence. Schopenhauer, inspiré par le bouddhisme et l'hindouisme, appelait "Volonté" ce mouvement. Nos représentations ne servent qu'à le justifier, à lui donner des apparences de raison, alors qu'il n'y a pas plus, dans l'amour sentimental par exemple, de sens que dans la poussée des pédoncules de patate vers la lumière. 

D'où la violence et la cruauté de la Nature. Détails que l'écologisme spiritualiste se garde de mentionner. Cherchez et vous trouverez.



La spiritualité aborde rarement ces sujets. Les religions abrahamistes et l'écologisme nous parlent de la violence humaine, rarement de la violence animale. Pourtant, elle existe, elle est omniprésente. Les animaux d'une même espèce s'entretuent, les parents dévorent leur progéniture, etc. Sans oublier les catastrophes naturelles. Tout cela semble donner raison à la thèse d'un monde absurde et pose une question terrible aux croyants : Si Dieu est bon, comment expliquer que le mal soit omniprésent dans la nature ?




Il existe deux types de réponses spirituelles, qui peuvent se combiner :

1) Le mal dans la Nature est l'œuvre d'une entité mauvaise.
2) Le mal dans la Nature est un effet d'une forme d'ignorance.

Cette dernière solution a été explorée en profondeur en Inde. Voilà sans doute pourquoi la théorie de l'évolution y est peu attaquée par les religieux et spiritualistes. La théorie du karma est compatible avec la théorie de l'évolution.



Cette théorie du karma existe dans le Tantra. L'idée est la suivante : Emportée par le vertige de sa liberté sans limites, la Conscience universelle s'oublie dans sa manifestation. Elle s'identifie à des corps séparés qui se font violence. La Conscience transformée en lion dévore la Conscience transformée en gazelle, car la Conscience s'oublie dans le lion et la gazelle. La promesse de cette théorie est que, si le lion et la gazelle reconnaissaient leur véritable nature de Conscience universelle, toute violence cesserait. Le lion deviendrait végétarien, ou cesserait d'exister.




Et, même en temps ordinaire, la Nature recèle cette liberté extatique, comme les braises couvent sous la cendre. Le Tantra affirme en effet que, sous n'importe quelle expérience, même la plus terrible, la plus violence, la plus douloureuse, gît un fond d'extase béatifique. 



Dès lors, le désir peut être à la fois absurde, car aveugle chez des êtres qui sont aveugles ; et plein de sens. Le désir absurde est un désir immature. Le point-clé de cette vision du désir est de ne pas faire de différence de nature entre l'Homme et les autres animaux. Tous participent du même mouvement universel. Le désir aveugle, la pulsion sexuelle mécanique, l'instinct de tuer, seraient des formes incomplètes et, donc, immatures, du Désir divin. 

Autrement dit, la Conscience universelle ne serait pas pur amour, au sens où elle serait capable d'évoluer. Vers le pire comme vers le meilleur, comme toute entité douée de liberté. L'expérience universelle serait alors une expérimentation de possibles multiples, bons et mauvais, et le sens de ce Tout serait de progresser vers le meilleur. La Conscience serait malade, aveuglée, égarée par ses propres pouvoirs. Le sens du Désir, même absurde en apparence, serait de s'extraire de ces mécanismes aveugles et de s'élever vers des manifestations de plus en plus complètes, adéquates et pleines de sens. Le désir absurde est peut-être l'enfance du désir. Schopenhauer a raison de voir dans l'amour une illusion, une ruse de la Nature. Mais ces drames ne sont qu'un aspect ou un moment de la totalité de l'aventure du désir.

Le désir est donc une force aveugle en chemin vers le divin.

1 commentaire:

  1. L'amour,la grâce relève de l'évidence qui résout tout en l'unité et non du désir qui disperse et témoigne encore de la dualité. L'amour, la grâce ne sont pas affaire d'intellect, pour autant que l'on puisse les penser et y trouver un plaisir, avant-goût auquel pourtant il serait sot de s'arrêter sous peine qu' il devienne obstacle. L'unité, l'amour, l'évidence ne laissent de place au doute que parce que nous n'y sommes pas prêts. Il ne viendrait pas à l'idée de l'Amoureux de se disperser, l'évidence et l'amour l'emportent sur lui et il s'avoue volontiers vaincu par ce qui le libère. Tout le reste n'est que spéculation et s'il y a de la beauté et de la bonté à penser la grâce, l'amour et l'unité, il y a du non sens, découlant d'une immaturité de l'âme, à lui préférer ces spéculations.

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