mercredi 5 mai 2021

Un Tantra traditionnel et moderne à la fois

 L'Inde est la source de la plupart des enseignements spirituels en vogue. Le Yoga, le Tantra, la méditation, l'éveil, la non-dualité : ces idées n'existeraient pas sans l'Inde. Et ce continent est certes vénéré. Mais il n'est pas connu pour autant.

Le Yoga est populaire. Mais qui étudie le Yoga originel ?

Le Tantra est populaire. Mais qui étudie les tantras ?

Le shivaïsme du Cachemire est populaire. Mais qui lit Abhinavagupta ?

La non-dualité est populaire. Mais qui lit Shankara ?

Pour ma part, je suis partisan d'une approche à la fois traditionnelle ET moderne. 

Lire les texte, les étudier : c'est la tradition. Les adapter : c'est la modernité. 

D'autant plus que les textes de la tradition du shivaïsme du Cachemire - une tradition d'interprétation du Tantra - incite elle même à adapter, à s'approprier la texture des tantras pour se la rendre vivante. Abhinavagupta affirme explicitement que le Tantra est pour tous, au-delà des lieux et des temps, à condition de transposer et d'adapter. Et cela n'est possible que si l'on critique, que si l'on discrimine, afin de séparer ce qui est particulier de ce qui est universel - tout en sympathisant avec ce particulier. Pas question de fabriquer un ersatz impersonnel et déraciné.

A quoi ressemble l'enseignement traditionnel en Inde ? Car enfin, ce qui passe pour du Tantra aujourd'hui est du New Age, la religion née aux USA au XXe siècle. Et je dis cela avec appréciation pour les aspects positifs du New Age. Il y en a. Toutefois, il ne faut pas tout confondre.

Selon la tradition du Tantra, la raison est "l'auxiliaire suprême du yoga", de l'union a Dieu, de la divinisation. Sans textes, pas de Tantra. Sans tantras, pas de Tantra. Sans lecture, pas de réalisation. Même dans le cas, assez rare, d'un éveil sans aucun contact avec aucun texte, la tradition conseille d'étudier des textes, car c'est en eux et par eux que l'on acquiert le langage qui permet de partager l'intuition spirituelle.

Et cette pratique, cette manière de vivre, au contact de "l'instrument pédagogique" (shâstra) formateur, est basé sur l'expérience, la raison et les textes. Le maître a alors pour mission d'expliquer les textes, de mettre en contact avec l'esprit qui a généré ces textes. Ce royaume a trois portes : la grammaire, la logique et l'art de l'interprétation. C'est une manière de vivre, avec sa discipline quotidienne, ses conditions et ses épreuves. 

Et la tradition se transmet par débats, par polémiques, questions et réponses.

Voici un débat, en sanskrit bien sûr (et un peu en hindi), entre partisans de Shankara et de Râmânuja, devant l'une des hautes autorités de l'hindouisme contemporain - et au milieu des bruits de perceuse, à Vrindâvan.  Regardez au moins les trente premières secondes, même si vous n'entendez pas la langue :


Comme on voit et comme on entend, ces échanges sont loin du climat policé du New Age. La parole est franche, enflammée à l'occasion. Et les textes des grands maîtres sont plein de critiques. Shankara, Abhinavagupta et les autres, n'étaient pas des adeptes de la "communication non-violente". Il y avait certes un cadre, des règles. Mais il n'y avait pas ce culte de la faiblesse bien-pensante qui ronge aujourd'hui l'espace publique, frileux et infesté de charlatans qui mentent et affirment que le Tantra est une thérapie New Age.

En fait, la structure fondamentale de tout texte sanskrit est polémique, puisqu'il comporte trois grand moments : 1 l'exposé de la thèse adverse (pûrvapaksha) ; 2 la réfutation de cette thèse (il peut y en avoir plusieurs) ; et enfin, la conclusion réalisée et prouvée au terme de ces débats (siddhânta).

La culture indienne EST polémique. Avec sérieux et feu, non sans humour. 

Le cadre de ce jeu à la fois léger et profond, est celui de l'Art de penser, le Nyâya. Voici une initiation, en anglais, dans la perspective de la culture indienne :



En revanche, les gurus du New Age sont fiers de dire qu'ils n'ont jamais étudié. Ce monsieur explique qu'il a refusé d'étudier le sanskrit pour "ne pas être encombré" et que, de toutes façons, tout ce qu'il dit vient directement de la "Source". Sans vergogne :


Abhinavagupta était un yogi né avec l'intuition innée la plus haute, nous dit-il. Mais il a appris le sanskrit, si bien qu'il fut reconnu, dit-on comme une réincarnation de Patanjali. Et aussi comme le guide de toutes les traditions shaivas. Mais il a étudié, sans trêve, avec passion.

Sur cette autre vidéo, ce même personnage prétend dire l'importance du sanskrit - cette langue précédemment jugée inutile et "encombrante" - mais à l'aide d'arguments New Age qui n'ont rien à voir avec la véritable puissance du sanskrit et de la Parole en général :


Mais, me dira-t-on, nous ne sommes pas des Indiens ! C'est vrai. Il est cependant possible de s'acculturer, comme ces enfants de la tradition Gaudîya :


Je ne suis pas pour l'endoctrinement des enfants, étant un libéral favorable à une culture humaniste gréco-moderne. Je ne suis pas non plus pour l'acculturation. Nous pouvons adapter, extraire de ce très riche patrimoine ce qu'il recèle d'universel. Sans oublier que la culture indienne est parente de l'européenne. Et que, de toutes façons, l'exercice du discernement est indispensable. Nous voulons les vérités qui rendent libre, non les superstitions qui emprisonnent. 

Mais pour cela, il faut étudier. Se retrousser les manches, adopter un mode de vie adéquat, se sortir du bourbier des réseaux sociaux, du jeu du papillonage superficiel et entrer dans une existence vouée à la culture de soi par l'étude du meilleur des cultures. Etudier le Tantra, avec le meilleur des humanités et de la science. Cela ne fait pas tout, mais cela nous donne un fond solide.

Voilà pourquoi je m'efforce de partager, dans la mesure de mes possibilités, à travers des articles, des livres, des rencontres et des vidéos.

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