Je reprends la traduction du Bodhavilâsa que j'avais faite en 2017.
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Le Bodha-vilâsa est un poème de quarante-deux versets attribués à Kshémarâja, cousin et disciple d'Abhinavagupta, le plus important maître du Tantra. Tous deux étaient poètes et épris d'esthétique. Nous aurons à revenir sur ce point, capital pour comprendre le Tantra. Par Tantra, j'entends l'ensemble du tantrisme et, même, de l'hindouisme, tel que compris et interprété par les maître de ce que l'on a appelé "le shivaïsme du Cachemire". Ce dernier n'est pas une tradition initiatique particulière, mais une tradition d'interprétation particulière, d'abord autour du Poème sur la Vibration (Spanda-kârikâ) de Vasugupta, puis sous l'inspiration du Poème pour reconnaître le Seigneur en soi (Îshvara-pratyabhijnâ) d'Utpaladeva.
Kshemarâja survient à la fin de cette série d'œuvres et de pensées nouvelles. Il est disciple d'Abhinavagupta, zénith de ce mouvement à la fois philosophique et mystique, fondé à la fois sur une tradition esthétique et sur des traditions initiatiques.
Kshemarâja, vers l'An Mille (1050 ?), présente sa synthèse, après celle de son maître, dans le Cœur de la reconnaissance (Pratyabhijnâ-hridaya), œuvre qui sera aussi appelée Aphorismes de la Puissance (Shakti-sûtra), car il est formulé autour d'une vingtaine d'aphorismes, et qui connaîtra une immense diffusion, notamment dans le Sud de l'Inde.
Or, cette œuvre a été composée aussi sous la forme d'un poème, intitulé Bodha-vilâsa, Le Jeu de la conscience, ou le Jeu qui est la conscience, ce "jeu" étant l'expérience universelle. C'est dire que tout, absolument tout, est enveloppé dans la conscience : tout est conscience, tout est cette activité créatrice et absolument libre.
Ce poème ambitionne de transmettre le Tantra dans sa totalité. On y repère trois grandes parties :
1 - La réalité, conscience souveraine. Quand elle est incomprise, ou comprise en partie seulement, son Jeu engendre le samsâra, avec sa pauvreté, son aliénation et ses souffrances. Quand elle est comprise, son Jeu engendre une expérience à la fois mystique et esthétique, ineffable et toute de liberté dans l'acte créateur.
2 - La voie vers la délivrance, la reconnaissance du divin dans l'expérience ordinaire. Cette partie expose aussi les moyens de cette voie.
3 - Le résultat de cette voie, l'expérience de la conscience complètement réveillée à ses pouvoirs. L'expérience spirituelle.
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Voici le premier verset :
oṃ namo netrāya //
"Om, hommage à l'Œil !"
L'Œil est Shiva, dont la principale manifestation humaine (mûrti) est celle de Shrîkantha, "A la gorge sublime", doté du Troisième Œil, symbole de la non-dualité. Comme dit Utpaladeva :
"A l'exception de toi,
tout être dans l'univers
regarde à travers deux yeux.
Toi seul, Seigneur souverain,
tu vois à travers un œil unique." (Hymnes à Shiva, X, 9)
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namaḥ śivāya satataṃ pañcakṛtyavidhāyine /
cidānandaghanasvātmaparamārthāvabhāsine // 1 //
"Hommage continuel à Dieu,
artisan de la quintuple activité,
révélateur de l'ultime sens,
son Soi/notre Soi, masse de félicité et de conscience."
Il y aurait beaucoup à dire sur ce verset inaugural qui, en tant que tel, contient tout l'enseignement et l'expérience du Tantra. Mais comme la suite en est l'explication, j'en reste là.
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