citiḥ svatantrā viśvasya hetur ity abhidhīyate /
svātantrya-rūpā jñātā ca siddhīr vā saṃprayacchate // 2 //
Bodhavilâsa
"La conscience, dynamique, est libre.
Elle est la cause de toute chose.
Quand elle est reconnue comme liberté,
elle devient source de perfection."
L'Eveil de la conscience
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Dans ce premier verset, qui correspond au premier sûtra des Shakti-sûtras ou Pratyabhijnâ-hridaya, l'ensemble de la vision du Tantra est résumée. C'est véritablement un sûtra au sens du Tantra, c'est-à-dire une déclaration décisive, qui commande le reste du discours, comme un carrefour. Si vous la comprenez, vous pouvez comprendre le reste. Si vous la comprenez mal, ou partiellement, vous vous perdrez. Mais tout cela est à peine esquissé (sûtrayati iti sûtram).
Pourquoi l'enseignement du Tantra commence-t-il en esquissant, en ébauchant de manière subtile ? Parce que la Conscience, quand elle se manifeste, commence par se manifester de manière subtile. De manière subtile, c'est-à-dire qu'elle prend d'abord conscience de tout ce qui est à venir, mais sans les détails. Abhinava donne un exemple : c'est comme voir une ville depuis le sommet d'une colline ; c'est comme regarder un tableau sans considérer les détails ; c'est comme avoir une idée, mais sans connaître encore les détails de cette idée.
Autrement, la forme de l'enseignement imite la forme de la manifestation de la Conscience. L'éveil de la conscience individuelle reflète le jeu de la Conscience universelle. Tout se correspond. La vie spirituelle correspond à la vie universelle. la vie individuelle correspond à la vie cosmique.
Il est donc crucial de faire très attention à ce qui est dit ici.
La Conscience est citi, plutôt que cit. Ce "i" en plus, en sanskrit, signifie que la Conscience n'est pas un "témoin" statique au-delà de tout, mais qu'elle est l'Acte créateur à la source de tout, à chaque instant. Ici et maintenant, la Conscience est cette extase subtile mais évidente, qui devient, instant après instant, toute expérience, plaisir, douleur ou confusion. La conscience est certes au-delà du temps et, donc, du changement. mais elle n'est pas inerte. Elle est dynamique, en mouvement. Elle est un mouvement subtil, kimcicchalanam, "une sorte de mouvement", un mouvement indéfinissable, mais que chacun peut et doit reconnaître en soi. C'est la pure effervescence entre deux pensées. Ainsi, il n'y a pas rupture entre la Conscience et toutes choses. Les contenus de l'expérience, par exemple ces mots, ces pensées, ces émotions, sont le prolongement de la Conscience, comme les vagues sont le prolongement du Mouvement total de l'océan.
Tout est mouvement, tout est vibration, tout est balancement, tout est respiration.
Le silence entre deux pensées est vibration subtile. Mais c'et aussi du mouvement, toujours dynamique.
Et voilà pourquoi la conscience est "libre" (svatantrâ) : elle ne dépend de rien d'autre. Elle est à elle-même sa propre lumière. Tout a besoin d 'elle pour exister, elle n'a besoin de rien. Elle brille d'elle-même, comme une lampe qui éclaire autour d'elle, mais qui n'a pas besoin d'une autre lampe pour être éclairée. Réfléchissez à cette analogie. C'est une clé. Observez : pour savoir s'il fera beau demain, vous avez besoin de faire plusieurs choses : regarder, vous souvenir, comparer, etc. Pour vous rappeler de votre nom, vous avez besoin de vous souvenir. Pour savoir les choses, il faut percevoir ou réfléchir, ou faire. Mais pour savoir si vous êtes ? Sentez, goûtez comme c'est différent. La Conscience se connaît elle-même par elle-même. C'est cela, le début de l'éveil (bodha).
Mais cela ne suffit pas. Il faut encore que la Conscience s'apprécie. Sans cela, on enchaîne sur un "oui, bon, et alors ?" et il ne se passe rien. Ou plutôt, on passe à côté de soi, la conscience passe à côté d'elle-même. Pour que l'éveil soit initiation, début d'une autre façon de vivre, il faut qu'il y ait pleine appréciation qui débouche sur une certitude inébranlable. Sans cette certitude, "l'éveil" ne sera qu'une expérience de plus, au mieux un vague souvenir, et notre vie ne prendra pas une nouvelle direction.
C'est pourquoi l'initiation, le commencement, est si important. Il doit être un commencement par un retour à l'origine, accompagné d'une pleine reconnaissance de la valeur de ce qui est expérimenté. Sans cela, la Conscience ne se reconnaît pas, elle "ne se prend pas à cœur" comme dit Abhinava, et alors c'est comme les paysages que l'on regarde passer. Cela passe, sans guère marquer, donc cela reste stérile.
D'où l'importance de la Reconnaissance. Re-connaître le divin dans la conscience ici présente, ici et maintenant, prendre pleinement conscience de la valeur de l'instant présent, de la présence, de cette évidence en laquelle tout vit et meurt. Prenons le temps pour cela.
C'est ici que la philosophie joue un rôle, car ce qui nous empêche d'apprécier la Conscience, la présence nue à la source de tout, c'est justement que nous ne comprenons pas que cette présence est la source souveraine de tout. Ou alors, nous mésestimons la Conscience : "Oui, et alors ?" Ou bien, nous en avons une connaissance vague et confuse : "Mais la conscience, c'est quoi en fait ? Je comprends pas, c'est une énergie, une sensation ? Une sorte d'esprit transcendant ? Ou bien c'est un mystère insaisissable ?" Ou encore, on croit que la conscience est un effet du cerveau. Ou bien une propriété des neurones. Ou encore une illusion créée par le langage. Ou la mémoire, la personnalité, l'inconscient, etc. Toutes ces croyances, fausses ou partiellement vraies, doivent être examinée à la lumière de l'expérience et de la raison. Puis on les déconstruit, afin de parvenir à la pleine et entière reconnaisse du divin dans la conscience : "Cette Conscience, immédiate et évidente, est Dieu, omniprésent omniscient et omnipotent ; c'est elle, la clé, le remède, le salut, le secret".
Tant que cette certitude n'émerge pas en une parfaite clarté, il ne sert à rien de raisonner, de faire des expériences ou de pratiquer. C'est comme avancer dans le noir. La raison, seule, est vaine. L'expérience, seule, est aveugle. Il faut les deux. Il faut toutes les sortes d'intelligence.
Le but de cette pratique de la philosophie du Tantra n'est pas de "tout dire". C'est impossible et inutile. Mais il s'agit du moins d'arriver à une certitude suffisante pour entrer durablement dans la vie intérieure. ce travail philosophique est indispensable. L'expérience pure, sans aucune certitude, est emportée par les doutes, les déceptions, les aléas... Le but de cette pratique est de produire assez de certitude pour une vie spirituelle durable.
A suivre... peut-être sous forme vidéo ?
Superbe.
RépondreSupprimerMerci.