Océan-espace
En effet, un rapport, une relation ou une raison sont plus abstraites, donc plus difficile à appréhender que des objets empiriques.
Or, la non-dualité est justement un rapport, une relation entre l'unité et la dualité, entre la réalité et les apparences, entre l'essence et l'existence.
Les analogies sont donc indispensables pour faire saisir ce qu'est la non-dualité, pour parvenir à une juste compréhension, compréhension qui est le but des enseignements sur la non-dualité.
Il existe bien des analogies. Mais deux ressortent et reviennent sans cesse : l'espace et l'océan.
Les choses et les êtres sont à la Source ce que les corps sont à l'espace.
Les choses et les êtres sont à la Source ce que les vagues sont à l'océan.
Cependant, comme l'expérience de l'espace et celle de l'océan ne sont pas tout à fait identiques, la compréhension qu'ils induisent est légèrement différente. L'espace est plus abstrait que l'océan. Il convient donc mieux pour illustrer une non-dualité où les choses tendent à s'évaporer dans la Source. On la retrouve donc surtout dans des courants non-dualistes qui soulignent le caractère illusoire des choses et des êtres, disons des courants comme le Vedânta de Shankara ou le Madhyamaka de Nâgârjuna, qui s’illustrent par exemple dans ce passage de Shavaripâda, inspiré par un célèbre soûtra bouddhiste :
"Mobile ou immobile,
Vivant ou inerte,
Concret ou abstrait,
Évident ou subtil,
Rien ne s'écarte
De l'élément espace.
On peut bien dire "espace, espace".
Mais on ne peut définir l'espace
En disant qu'il est existant !
Il est au-delà de l'existence et de l'inexistence,
Du visible et de l'invisible,
Par-delà tout ce qui pourrait l'illustrer."
De fait, l''espace est insaisissable, sans haut ni bas, ni existant ni inexistant : il a une certaine fonction - laisser de la place - donc il n'est pas rien. A ce titre l'espace est "la reine des illustrations". Il est la porte expérientielle vers la compréhension qui transcende toute expérience. Du reste, la méditation ne consiste t-elle pas à plonger son regard dans l'espace immaculé ?
Toutefois il existe une autre analogie, celle de l'océan. Elle est aussi employée dans le bouddhisme, quoiqu'elle y soit moins connue. Voici un exemple, tiré de l'excellent manuel de la Mahâmudrâ, Le Sceau royal, où l'auteur dit :
"De même que les vagues surgissent de l'eau, tous les phénomènes sont simplement des manifestations de la clarté naturelle de l'esprit essentiel... Dans l'analogie de l'eau et des vagues, l'élément principal, l'eau, correspond à l'essence de l'esprit, parfaite depuis toujours, sans cause, sans limites, par-delà toute définition, présente comme conscience totale.
Les vagues correspondent à l'expression naturelle de l'essence de l'esprit qui se manifeste en perceptions illimitées : tous les phénomènes... Quand les vagues se résorbent dans l'eau, cela correspond à la libération dans l'essence de l'esprit grâce à la reconnaissance du fait qu'elles n'ont pas un atome de leur substance ou de leur essence en dehors de l'essence de l'esprit."
Dans ce beau texte on retrouve également l'analogie de l'eau et de la glace.
Or, les vagues et l'océan, ainsi que l'eau et la glace sont des métaphores centrales dans le tantra non-duel. Ce qui confirme, à nos yeux, la parenté profonde du tantra non-duel en contexte hindou et en contexte bouddhiste. En effet, le tantra non-duel, tout comme le tantra bouddhiste, essaient de montrer la perfection des phénomènes, plutôt que leur caractère erroné. Et c'est bien ce qu'illustrent ces analogies : un rapport d'englobement, d'intégration, d'accueil, d'harmonie, plutôt que d'illusion ou autre défaut.
Comme dit Kshemarâja dans mon billet précédent, le monde est une perle qui brille dans la nacre de la Puissance, laquelle chatoie dans l'océan de la Déité.
L'espace est un océan.
La conscience est un espace qui englobe, un océan qui berce, une Source et une substance en laquelle tout baigne.
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