Mais comment la connaître ?
Se poser cette question, cependant, c'est présupposer que j'ignore la conscience.
Pourtant, la conscience est la condition de possibilité de ce doute même ! Sans conscience, pas de doute, non plus que de certitude.
D'un autre côté, j'ai le sentiment de ne pas avoir "réalisé" la conscience.
Comment expliquer cette bizarrerie ?
Comment la conscience peut-elle être à la fois évidente et inconnue ?
Si la conscience est évidente, comment puis-je la réaliser ? Comment puis ne pas la connaître ? Tout ceci a-t-il un sens ?
L'Auteur du Cœur de la Reconnaissance (Pratyabhijnâ-hridayam), oeuvre aussi appelée Les Aphorismes de la Shakti, répond :
"De plus, la conscience est source de la manifestation, de la démonstration de tout - ce "tout" étant constitué du sujet qui démontre, de l'objet qu'il veut démontrer, et de la preuve qu'il emploie. Ces preuves, misérables (en ce qu'elles dépendent de la conscience qui les manifeste), manifestent seulement des choses qui n'étaient pas évidentes jusque-là, (alors que la conscience est toujours déjà évidente). Ces preuves sont donc illégitimes et vaines pour "réaliser" la (conscience qui est leur propre source et qui les "réalise" donc, bien plutôt qu'elle n'est "réalisée" par eux), elle qui est Lumière consciente évidente, que rien ne peut délimiter et qui ne dépend que de soi. Dieu le dit dans le Tantra de l'Essence de la Triade :
Cette énergie de la conscience
(ne peut être saisie à la manière d'une chose),
tout comme celui qui essaie
de poser le pied dans l'ombre de sa tête
n'y parviendra jamais."
Peut-on "prouver" la conscience ? "Prouver" traduit siddhi. Ce mot sanskrit assez connu peut, selon le contexte, désigner soit un pouvoir yogique surnaturel, soit une démonstration rationnelle, ou bien une réalisation spirituelle. Dans ce premier aphorisme des Aphorismes de la Shakti, l'Auteur joue de ces trois acceptions. La conscience se réalise spirituellement en réalisant l'univers, en se réalisant comme monde. Elle a pour "preuve" l'univers, toutes choses qui sont sa manifestation. Et pour la réaliser, il suffit de réalisation que l'univers est justement cette "réalisation" de soi par soi. Voilà pourquoi, dans cette voie, l'obstacle (la dualité, la manifestation) devient un "moyen" de réalisation spirituelle. La dualité devient la voie. Il suffit d'observer que tout se manifeste dans la conscience, et que tout est la conscience en train de se manifester. La dualité demeure, mais elle "pointe" vers la conscience, vers sa source, comme les reflets révèlent le miroir.
Mais la conscience ne peut être "prouvée", car toute preuve, rationnelle ou spirituelle, intuitive ou discursive, présuppose la conscience. A quoi bon une lampe pour éclairer le soleil ? Et surtout, à quoi bon cet effort pour connaître ce qui est, de fait, toujours déjà connu ? A quoi bon démontrer l'évidence ?
C'est comme chercher à "poser son pieds dans l'ombre de sa tête" (avec le soleil dans le dos, bien entendu) : nul ne peut aller plus vite que son ombre, car c'est notre propre mouvement qui meut notre ombre.
Mais alors, pourquoi une philosophie, une méthode ou une voie spirituelle ?
Justement pour réaliser cette évidence.
L'éveil spirituel n'est pas connaissance nouvelle, mais reconnaissance. Si ignorance il y a, ce ne saurait être absence pure et simple de connaissance, car la conscience est pure connaissance.
En revanche, la conscience comporte ce pouvoir mystérieux de se perdre dans ses rêveries, exactement comme nous en faisons l'expérience au cours de la journée et de la nuit. Il y a simplement confusion.
Voilà pourquoi, même si elle est évidente et si, en ce sens, elle est toujours déjà connue, la conscience doit se reconnaître pour se réaliser pleinement et passer d'une connaissance incomplète à une pleine conscience, d'un état d'hypnose à un état de lucidité complète. Actuellement, je suis conscience, mais conscience qui joue à se limiter à un champs très limité, conscience contractée donc, solidifiée, prise dans sa propre toile. Je dois me regarder pour revenir à moi, m'éveiller et jouir de mes pouvoirs sans plus en être la victime. D'où la nécessité de la reconnaissance, alors que la conscience est évidente.
La conscience ne peut être connue, car elle est toujours déjà connue. Mais elle peut et doit se reconnaître. La conscience ne peut être ignorée, car elle est la connaissance même. Mais elle peut et doit s'épanouir en se reconnaissant.
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