mercredi 12 juin 2019

Eveil impersonnel ?

Dans mon approche de la vie intérieure, il y a la dimension de silence et celle de ressenti.

L'éveil au silence est l'éveil simple, par le retournement de l'attention de 180°. Je n'écris même pas "vers sa source", car c'est plus simple que cela. Il y a juste un "retournement" de l'attention, un retournement qui est un réveil de la conscience. Et c'est tout. Comme une bulle qui éclate. Ensuite, il y a une sorte de silence simple, nu. Une immensité impersonnelle. Impersonnelle en ce sens qu'elle n'a pas de sens, ni de valeur, particulières. Simple. Donné. "Ce qui est", si l'on veut.

Mais il y a, aussi, l'éveil ressenti, par le retournement d désir. Par "désir" j'entends ici le mouvement affectif au sens le plus large : besoin, instinct, volonté, émotion, élan...

Pour moi, les expériences inventées par Douglas Harding sont les outils les plus puissants, comme on dit, pour l'éveil au silence.

Exemple : Que voyez-vous, en cet instant même, dans la direction pointée par ce doigt ?



Mais qu'en est-il de l'éveil ressenti, ou de l'éveil à ce ressenti intime, que j'appelle aussi, parfois "vibration du cœur" ?
Mais d'abord, Douglas Harding a-t-il parlé de quelque chose de semblable à cet éveil ressenti, ou bien a-t-il seulement parlé de l'éveil simple par retournement du regard ?

Voici un passage ou Harding évoque ce qui ressemble à des limites de l'éveil simple, quand il fait cette "confession" :

"Une immortalité impersonnelle peut peut-être satisfaire un saint, mais pas moi. J'exprime ici un doute insistant et puissant, une réserve sous-jacente à toute cette investigation et qui ne peut être ignorée plus longtemps. pour moi, il est certain que VOIR est essentiel, crucial, la seule chose nécessaire. Simplement voir ma Nature intemporelle, neutre, vide, ici, au centre de moi-même. Mais s'il s'agit simplement d'un regard impersonnel porté sur des profondeurs impersonnelles, ce n'est pas satisfaisant. Cela n'a pas de force, cela me laisse froid, ce n'est pas senti. Certes, cela me démontre amplement et me persuade que c'est Ce Que Je suis sans aucun doute, mais cela ne gagne pas mon adhésion totale. Quelque chose de très profond en moi refuse les généralités, les généralisations, tout ce qui fleure l'abstraction, et veut absolument une éternité concrète, spécifique et personnelle sans vergogne ! Il faut que l'éternité m'appartienne !"

(Le petit livre de la vie et de la mort, p. 194)

De deux choses, l'une : soit Harding n'a pas pleinement réalisé la valeur de l'éveil simple, visuel, par retournement de l'attention ; soit il a réalisé une autre dimension de l'éveil. C'est, peut-être, ce qu'il confirme plus loin, quand il écrit, à propos de la question de savoir s'il faut supprimer ou non l'ego :

"Certainement, l'ego a besoin d'être corrigé, mais la solution n'est pas de le dégonfler, la solution est de le parachever, c'est-à-dire de l'élargir au maximum et de le compléter." (p. 195)

Il conclut enfin que, pour lui ("ces questions sont vraiment si personnelles qu'il ne conviendrait pas de m'attarder sur elles ici"), l'apothéose est l'étonnement, l'étonnement de ce mystère que nous sommes et qui se crée soi-même "sans l'aide personne et sans aucune raison" (p. 197).

Mais il ne répond pas à la question de la dimension personnelle de l'éveil, au besoin de ressenti qu'il avait d'abord confessé. Dans un autre livre, que nous examineront dans un autre article, nous verrons comment Harding aborde plus précisément ce ressenti et quel outil il propose pour s'y éveiller.

A mon sens, ce "doute persistant" pointe vers la nécessité de l'éveil ressenti. Et cet éveil ressenti est la vibration du cœur ressentie au premier instant de n'importe quel désir, de n'importe quelle émotion. Ce ressenti est "personnel" au sens où il comporte un sens ("tout est bien") et une valeur (conséquence du sens ressenti) qui s'imposent évidemment. Qu'est-ce qui est ressenti ? Une conscience universelle, totale, qui est aussi amour inconditionnel. Une unité avec tout. En fait, selon moi, cet éveil partage toutes les caractéristiques de l'éveil visuel "simple", avec en plus une dimension ressentie centrale. Et ce ressenti n'est pas impermanent. Comme l'absence de visage, ici, ce ressenti d'unité avec toute chose est toujours présent, quoiqu'il soit rarement reconnu. Et on s'éveille par un retournement. Mais l'éveil ressenti, ou plutôt l'éveil au ressenti, est un ressenti. L'éveil visuel peut déclencher des ressentis, bien sûr. Mais dans ce cas, ils sont périphériques, pour ainsi dire. Alors qu'ici, l'éveil même est ce ressenti. Et en effet, c'est aussi un émerveillement devant ce jaillissement de tout à partir de rien, ou du tout dans le tout. Mais là, nous entrons dans le domaine des interprétations.

Quoi qu'il en soit, l'éveil impersonnel ne peut non plus me satisfaire entièrement pour ces raisons. Cela étant, même un éveil personnel, "ressenti", ne saurait combler totalement ma personne, car je constate que le manque est, à tous les niveaux, le moteur de la vie. En fait, il y a à la fois manque et plénitude. 
Et je suis convaincu que ces deux "éveils" participent d'un seul mouvement, qu'ils animent une seule et même vie intérieure. Le vide appelle le plein. Le plein appelle le vide. A l'infini.

Je crois que Douglas Harding aurait sans doute été inspiré par la philosophie de la Reconnaissance, s'il l'avait connue. A mon sens, des passages comme celui cité plus haut peuvent être interprétés dans ce sens. L'absolu non pas comme substance (être ou vide), mais comme acte. Et comme liberté donc. Le mystère comme volonté, désir, action. Tout un monde nouveau s'ouvre alors.

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