samedi 22 juin 2019

L'expérience de la vibration

Tout est l'absolu en son expansion perpétuelle.
L'absolu n'est pas une mer d'huile, un océan statique, car "c'est la nature de l'océan que d'être parcouru de vagues" (Abhinava Goupta), de même que c'est la nature du miroir de refléter.

Ainsi, si je reconnais l'absolu en moi, en mon expérience, c'est-à-dire si je reconnais mon expérience comme étant celle de l'absolu, ma vie ne va pas se congeler soudain, le monde ne va pas disparaître. Mais son expérience sera modifiée, sans pourtant que rien de plus ne se manifeste. Il en va comme dans les dessins ambigus :


Dans sa description de cette expérience, la philosophie de la Reconnaissance l'analyse comme une vibration ou un frémissement. Mais ici, il ne faut pas comprendre ces termes comme des descriptions d'une sensation, plutôt comme description du fait que l'expérience consiste naturellement en une alternance entres des régimes opposés - essentiellement le sommeil profond, le rêve et la veille. Voici comment Abhinava Goupta décrit ces états de la vie de l'absolu en commentant une stance d'Outpala Déva :

"Le 'Seigneur' est éclosion vers l'extérieur, 
l’'Éternel' est l'acte de se refermer vers l'intérieur." (Pratyabhijnâ-kârikâ III, 1, 3)

Commentaire d'Abhinava : ... Le terme "éclosion" désigne l'état de la conscience nommé "le Seigneur", car l'acte d'éclore c'est l'extériorité, c'est-à-dire la clarté de [la manifestation] de l'univers/ de toutes choses. Et la "fermeture", c'est l'état de conscience nommé "l’Éternel", car c'est un état où les choses ne se manifestent pas clairement/ de façon obscure, à cause de la prédominance de la pleine conscience de soi "Je"...
C'est là un pur frémissement, le fait, pour le Seigneur suprême qui ne bouge pas, de changer d'état sans se laisser submerger [pour autant, aprarûdha], car il se manifeste clairement [comme autre, et cette manifestation distincte] consiste en une sorte de mouvement [immobile]."

La conscience alterne entre deux états :
- l'état d'ouverture ou d'éclosion (unmesha, le fait d'ouvrir les yeux), dans lequel la conscience se manifeste "clairement", c'est-à-dire comme multiplicité de choses séparées les unes des autres. C'est la manifestation de la dualité, qui n'est qu'une différenciation de soi. "Claire manifestation" ou "extériorité" sont donc synonymes de manifestation différenciée, de dualité. 
- l'état de fermeture ou d'intériorisation est synonyme d'unité, d'identité, d'indifférenciation. C'est la même conscience qui se manifeste, mais de manière indifférenciée et donc "obscure" ou "faible" (aprarûdha).

Mais en réalité, la conscience se manifeste toujours. La dualité ("à l'extérieur", "clairement") est simplement une réalisation de soi comme autre que soi. L'unité ("à l'intérieur", "obscure") est la réalisation adéquate de soi, dans l'unité.

Mais tout cela est frémissement/ vibration, spanda, car la conscience se manifeste à la fois comme une et comme multiple, comme soi et comme autre, comme la même et comme différente, comme claire/ différenciée et comme obscure/ indifférenciée. C'est ce pouvoir de se manifester à soi comme autre que soi tout en restant soi qui constitue l'expérience de la vibration, ce balancement immobile, cette "sorte de mouvement". "Vibration" est donc synonyme, ici, de liberté (svâtantrya) et de magie (mâyâ).

Quand la conscience s'éveille,  quand elle se manifeste dans la séparation, elle reste une. Quand elle se ressaisit dans l'unité, elle reste grosse de toutes choses. Unité et multiplicité sont inséparables. C'est cela, l'expérience de la vibration. Et c'est cette oscillation ineffable qui se manifeste dans l'alternance des états de veille (dualité) et de sommeil (unité), ainsi que dans tous les cycles de la vie.

Ce que la Reconnaissance veut nous faire comprendre, c'est que ces états ne s'opposent pas. Il ne s'agit pas de choisir un état et de dénigrer l'autre. Au contraire, nous sommes invités à reconnaître dans ce jeu d'expériences opposées, le libre jeu de la libre conscience que nous sommes déjà. C'est cela, l'expérience de la vibration. 

Et on peut la ressentir "dans le cœur", c'est-à-dire de manière viscérale, lors d'un mouvement brusque, à l'orée d'une perception intense ou au premier instant de n'importe quelle émotion. Cette alternance est alors si rapide qu'elle confine à la simultanéité, à la manière d'une toupie qui paraît d'autant plus immobile que son mouvement est rapide. Dans ce cas, le terme "vibration" décrit bien une sensation.

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