Deux heures passées cet après-midi
avec Douglas E. Harding, philosophe anglais inventeur d'un certain
nombre d'expériences pour voir qui nous sommes vraiment,
au-delà de tout ce que l'on peut ressentir, percevoir ou
imaginer.
Très en forme qu'il semblait, j'ai pu l'interroger sur
le sujet qui lui tient à cœur : la Vision Sans Tête, le fait que
quand je regarde vers ici, au-dessus de mes épaules, je ne vois rien
qui ressemble, même de loin, à une tête. Et aux implication de ce
détail de l’expérience. Autour d'une tasse de thé et de quelque
biscuits, il a sans cesse insisté sur le caractère absolument
miraculeux de chaque moment vécu, de chaque personne rencontrée.
Plein d'esprit, il a cité de nombreux auteurs anciens et modernes,
tout en insistant sur la simplicité de la Vision. Voici cet échange que j'avais enregistré et retranscrit, avant de le perdre :
"Certains disent que le 'Je suis' est la réalité ultime, finale. D'autres disent que, même si c'est un moyen utile, il faut ensuite le délaisser ou le dépasser. Qu'est le 'Je suis' pour vous ?"
- Le 'Je suis' est ultime, car pour douter de mon existence, il faut encore que je doute. La certitude du 'Je suis' est le roc sur lequel je puis douter autant que bon me semble. Il est le roc immuable qui rend possible toutes les expériences changeantes. Le 'Je suis' est à la fois le moyen et le but.
"Ramana Maharshi recommandait, à la fin de sa vie, que l'on répète mentalement 'je-je' comme moyen pour s'établir dans l’État Naturel, le Soi. Penser-vous que ce soit un moyen valable ?"
- Je pense qu'il existe d'innombrables moyens qui sont autant d'accès vers Ici. En aucun cas je ne me laisserais aller à les limiter. Et surtout, voyez-vous, même si les gens ne voient pas, ils ont raison. Car leur aveuglement ne change rien à ce qu'ils sont vraiment. C'est même ce qu'ils sont vraiment qui rend possible cet aveuglement. C'est la liberté, c'est la beauté de l'Histoire. Quoi qu'il en soit, Ici, je suis immortel, non-né.
"Oui, mais cette immortalité est purement impersonnelle. Y-a t-il un avenir pour Douglas Harding après sa mort ? Y-a t-il une continuité de la personne à travers sa mémoire ?"
- Non, je ne crois pas. Et heureusement ! Ce serait épouvantable si Douglas ne cessait jamais. Une malédiction, une forme d'enfer ! D'un autre côté, chacun apporte une contribution unique, imprévisible, sans prix. En plus, ce que l'on fait demeure dans cet univers. Les conséquences de nos actes s'y perpétuent. C'est une sorte d'immortalité personnelle.
"Mais si le 'je suis' est si indubitable et évident, comment se fait-il que tous les gens qui sont réputés regarder Ici ne parlent pas de 'Je suis', comme les Bouddhistes par exemple ?"
- Eh bien, je crois que c'est parce que cela est requis. S'il y a des gens qui ne voient pas, ou bien qui interprètent différemment, c'est parce qu'ils sont libres. Dieu est libre. Cela veut dire que je ne sais pas ce qui va arriver. C'est comme le vol d'un papillon : [il mime avec sa main] hop, hop ! Je ne sais pas ce que je vais dire, ni comment je vais le dire. Cela est requis car, voyez-vous, nous avons besoin d'une Histoire. Or, qui dit Histoire dit aussi complications, embrouilles, essais et erreurs, pertes et retrouvailles... Tout ce qui est apparemment mauvais concourt à un plus grand bien.
"Il y a des spiritualités où l'on dit que 'tout est parfait' (comme dans le dzogchen), mais ensuite on vous dit qu'il faut respecter des règles, sans quoi on ira en enfer, etc. Qu'en pensez-vous ?"
- J'en pense que ces organisations vont se défaire d'elles-mêmes. Ces règles sont inutiles. Quand je vois Ici, je ne peux me tromper ! Par contre, je peux stabiliser cette vision. Mais cela se fait par la force des choses, plus ou moins rapidement, selon le tempérament de chacun... C'est un processus cyclique d'aller-retour constant entre la Vision et la distraction, entre la simplicité et la paix de ce que je suis Ici d'une part, et la complexité et la souffrance que je vois et que je dois accueillir encore et encore. C'est un va-et-vient incessant entre la vacuité et la compassion, comme disent les Bouddhistes.
"La méditation est-elle une aide pour stabiliser la Vision ?"
- Pas pour moi. En fait, je crois même que c'est plutôt un obstacle, dans la mesure ou cette activité de méditation est délibérée. Naturellement vient un moment ou cette Vision devient naturelle. Mais, après un demi-siècle de pratique, je crois pouvoir affirmer que cela implique maintes souffrances et épreuves.
"Mais n'avez-vous pas trouvé que, après la Vision, vous vous sentiez davantage incliné à 'méditer' ?"
- Non.
"A la lumière de votre expérience, croyez-vous que la Vision peut rendre un homme parfait tant dans ses actes que dans ses paroles ?"
- Ha !!! [il s'esclaffe] Impossible. Quant à mon cas, je dirais même que Douglas est un démon, un diable. Et je puis vous affirmer que je possède des informations de première main à ce sujet ! Mais cette débilité, cette stupidité dont j'ai eu de si nombreuses preuves, je la laisse là-bas, à un mètre [dans le miroir, dans les surfaces réfléchissantes et dans le regard des autres].
"Mais, même si je constate l'absence de formes Ici, que faire des innombrables pensées obsessionnelles qui y surgissent sans-cesse ?"
- Cela fait partie de l'Histoire. C'est là-bas. Il faut voir aussi que toute cette complexité, cette obscurité de l'âme humaine, est requise. On ne peut pas à la fois vivre, et vivre sans ce sac de nœuds. Mais voir Qui voit est d'une grande aide. Partir du centre est la voie la plus directe. Ensuite, le reste change automatiquement autant qu'il est possible.
"Pensez-vous qu'il y a un lien étroit entre la Vision et la croyance en Dieu ?"
- Absolument pas. Au contraire ! Les croyants ont souvent du mal a accepter ce qu'ils voient, cette Absence de tout, y compris de Dieu. Car Dieu n'est pas Dieu, comme dit Maître Eckhart.
"La vision est-elle compatible avec l'agnosticisme ?"
- Dieu lui-même est le Président du Club des agnostiques ! Dieu ne croit pas en Dieu.
Tout cela, voyez-vous, n'est finalement que paradoxes. Je ne fais rien et, pourtant, depuis un demi-siècle toutes sortes d'idées me sont venues pour partager la Vision avec mes amis.
Dans tous les cas, l'essentiel est de prendre note qu'il n'y a pas de visage Ici. Simplicité. Il y faut, si vous voulez, une attention légère, une attention sans intention. Cela suffit : inutile de se torturer.
"Certains disent que le 'Je suis' est la réalité ultime, finale. D'autres disent que, même si c'est un moyen utile, il faut ensuite le délaisser ou le dépasser. Qu'est le 'Je suis' pour vous ?"
- Le 'Je suis' est ultime, car pour douter de mon existence, il faut encore que je doute. La certitude du 'Je suis' est le roc sur lequel je puis douter autant que bon me semble. Il est le roc immuable qui rend possible toutes les expériences changeantes. Le 'Je suis' est à la fois le moyen et le but.
"Ramana Maharshi recommandait, à la fin de sa vie, que l'on répète mentalement 'je-je' comme moyen pour s'établir dans l’État Naturel, le Soi. Penser-vous que ce soit un moyen valable ?"
- Je pense qu'il existe d'innombrables moyens qui sont autant d'accès vers Ici. En aucun cas je ne me laisserais aller à les limiter. Et surtout, voyez-vous, même si les gens ne voient pas, ils ont raison. Car leur aveuglement ne change rien à ce qu'ils sont vraiment. C'est même ce qu'ils sont vraiment qui rend possible cet aveuglement. C'est la liberté, c'est la beauté de l'Histoire. Quoi qu'il en soit, Ici, je suis immortel, non-né.
"Oui, mais cette immortalité est purement impersonnelle. Y-a t-il un avenir pour Douglas Harding après sa mort ? Y-a t-il une continuité de la personne à travers sa mémoire ?"
- Non, je ne crois pas. Et heureusement ! Ce serait épouvantable si Douglas ne cessait jamais. Une malédiction, une forme d'enfer ! D'un autre côté, chacun apporte une contribution unique, imprévisible, sans prix. En plus, ce que l'on fait demeure dans cet univers. Les conséquences de nos actes s'y perpétuent. C'est une sorte d'immortalité personnelle.
"Mais si le 'je suis' est si indubitable et évident, comment se fait-il que tous les gens qui sont réputés regarder Ici ne parlent pas de 'Je suis', comme les Bouddhistes par exemple ?"
- Eh bien, je crois que c'est parce que cela est requis. S'il y a des gens qui ne voient pas, ou bien qui interprètent différemment, c'est parce qu'ils sont libres. Dieu est libre. Cela veut dire que je ne sais pas ce qui va arriver. C'est comme le vol d'un papillon : [il mime avec sa main] hop, hop ! Je ne sais pas ce que je vais dire, ni comment je vais le dire. Cela est requis car, voyez-vous, nous avons besoin d'une Histoire. Or, qui dit Histoire dit aussi complications, embrouilles, essais et erreurs, pertes et retrouvailles... Tout ce qui est apparemment mauvais concourt à un plus grand bien.
"Il y a des spiritualités où l'on dit que 'tout est parfait' (comme dans le dzogchen), mais ensuite on vous dit qu'il faut respecter des règles, sans quoi on ira en enfer, etc. Qu'en pensez-vous ?"
- J'en pense que ces organisations vont se défaire d'elles-mêmes. Ces règles sont inutiles. Quand je vois Ici, je ne peux me tromper ! Par contre, je peux stabiliser cette vision. Mais cela se fait par la force des choses, plus ou moins rapidement, selon le tempérament de chacun... C'est un processus cyclique d'aller-retour constant entre la Vision et la distraction, entre la simplicité et la paix de ce que je suis Ici d'une part, et la complexité et la souffrance que je vois et que je dois accueillir encore et encore. C'est un va-et-vient incessant entre la vacuité et la compassion, comme disent les Bouddhistes.
"La méditation est-elle une aide pour stabiliser la Vision ?"
- Pas pour moi. En fait, je crois même que c'est plutôt un obstacle, dans la mesure ou cette activité de méditation est délibérée. Naturellement vient un moment ou cette Vision devient naturelle. Mais, après un demi-siècle de pratique, je crois pouvoir affirmer que cela implique maintes souffrances et épreuves.
"Mais n'avez-vous pas trouvé que, après la Vision, vous vous sentiez davantage incliné à 'méditer' ?"
- Non.
"A la lumière de votre expérience, croyez-vous que la Vision peut rendre un homme parfait tant dans ses actes que dans ses paroles ?"
- Ha !!! [il s'esclaffe] Impossible. Quant à mon cas, je dirais même que Douglas est un démon, un diable. Et je puis vous affirmer que je possède des informations de première main à ce sujet ! Mais cette débilité, cette stupidité dont j'ai eu de si nombreuses preuves, je la laisse là-bas, à un mètre [dans le miroir, dans les surfaces réfléchissantes et dans le regard des autres].
"Mais, même si je constate l'absence de formes Ici, que faire des innombrables pensées obsessionnelles qui y surgissent sans-cesse ?"
- Cela fait partie de l'Histoire. C'est là-bas. Il faut voir aussi que toute cette complexité, cette obscurité de l'âme humaine, est requise. On ne peut pas à la fois vivre, et vivre sans ce sac de nœuds. Mais voir Qui voit est d'une grande aide. Partir du centre est la voie la plus directe. Ensuite, le reste change automatiquement autant qu'il est possible.
"Pensez-vous qu'il y a un lien étroit entre la Vision et la croyance en Dieu ?"
- Absolument pas. Au contraire ! Les croyants ont souvent du mal a accepter ce qu'ils voient, cette Absence de tout, y compris de Dieu. Car Dieu n'est pas Dieu, comme dit Maître Eckhart.
"La vision est-elle compatible avec l'agnosticisme ?"
- Dieu lui-même est le Président du Club des agnostiques ! Dieu ne croit pas en Dieu.
Tout cela, voyez-vous, n'est finalement que paradoxes. Je ne fais rien et, pourtant, depuis un demi-siècle toutes sortes d'idées me sont venues pour partager la Vision avec mes amis.
Dans tous les cas, l'essentiel est de prendre note qu'il n'y a pas de visage Ici. Simplicité. Il y faut, si vous voulez, une attention légère, une attention sans intention. Cela suffit : inutile de se torturer.
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