dimanche 8 septembre 2019

Le paradoxe du désir non-duel : toujours comblé, toujours frustré

Mahatma Gandhi dancing (History In Pictures)

La vie est une invraisemblable gigue.

Notre essence spirituelle est désir.
Le Soi "absolu" est désir.
La conscience pure est désir pur.

"Pur" ? 
- Non-duel, où le sujet qui désire et l'objet désiré sont une seule existence. Désir sans objet, désir qui n'est ni désir de ceci, ni désir de cela, mais pur et simple désir, mouvement de soi vers soi, un peu comme quand je sens ma main. Un frémissement sur place, une toupie comme figée.

Le désir n'est pas un accident de l'absolu, non plus que la conscience n'est un accident de la matière.

Le désir est l'essence, l'absolu permanent, éternel, atemporel.
Et quand on se plonge dans ce désir, c'est-à-dire quand "les" désirs reviennent, pour ainsi dire, au désir pur, sans objet, alors il y a plénitude.

Et pourtant, il y a frustration.
C'est la "douce brûlure" dont parlent Jean de la Croix et tant de spirituels.

Voici l'explication de cet apparent paradoxe par Hadewijch, l'éternelle, la singulière Hadewijch, dans la tradition du père Porion :

"Satiété : car l'amour vient et nous accable ;
famine : car il se retire et nous laisse en pleurs.
Ses plus belles consolations sont charges écrasantes ;
Ses assauts les plus violents, délices renouvelées."

Voilà pour le paradoxe.
Ensuite, son explication :

"Comment la venue de l'amour rassasie-t-elle ?
On le goûte émerveillé : c'est lui !
Il nous laisse asseoir sur son trône sublime
et nous prodigue ses immenses trésors.

Comment le refus de l'amour est-il famine ?
Quand on ne peut connaître comme on le devrait
ni jouir de ce que l'on désire,
notre faim croît à l'infini".

Autant le verset sur la plénitude est entendu, autant celui sur la frustration interpelle : comment notre essence pourrait-elle se dérober ? Elle qui est toujours présente, comment peut-elle se faire absence ? 

-Sans doute le désir de l'infini est-il nécessairement désir infini, mouvement qui n'en finit pas. C'est le Loin-Près de Marguerite Porète et de ceux qui sont affranchis dans le Souffle Sacré.

Mais si notre essence est simple, sans parties ni niveaux, comment comprendre que cette impression de ne pas tout y voir ? 

-Notre essence est simple, tout s'y voit d'un coup. Mais cette simplicité qui passe l'entendement devient, quand notre entendement s'efforce de la traduire (ce qui est inéluctable), inépuisable richesse. Ce qui est parachevé une fois pour toutes en soi pour soi, ne l'est jamais, du point de vue du corps, de l'âme et de l'esprit. L'unique lumière blanche devient un spectre aux infinies nuances, passé le prisme de l'individu. Le banquet est tout donné d'un coup. Mais la dégustation et la digestion prennent tous les temps. De plus, cette douce frustration est motrice. Elle est l'âme, l'animation que l'on appelle aussi la vie, et donc l'évolution.

Il y a une citation de Bernard de Clairvaux sur ce paradoxe, formulé dans le cadre de la vision des Bienheureux. Je ne m'en souviens plus la lettre. Si une bonne âme veut bien me la rappeler, ce serait belle charité.

7 commentaires:

  1. La citation de Bernard ; "l'avoir sur le bout de la langue" ,

    n'est-elle pas justement une des formes de "notre faim de l'infini qui s'accroit ".

    et puis

    "la supréme liberté est sans pourquoi "
    Marguerite Porète ;

    (de mémoire qui flanche et danse :) )

    Nous sommes le mystère qui joue à se dire .

    Merci d'être témoin , David .

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  2. La conscience peut , d'elle méme , avoir (être) cette sensation :
    "je l'(m')ai sur le bout de la langue ."

    Nous sommes le Mystére qui joue à se dire .

    Merci David .

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    Réponses
    1. Exactement : l'instant où l'énergie se "tend vers", comme un asticot qui se distend pour passer d'un brin d'herbe à l'autre.

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  3. Je n'ai pas votre citation, mais je souhaite mettre en partage un extrait du Sermon du Cantique des Cantiques (84,1) de cet auteur:

    'Quelle est la fin de cette quête ? Je crois même qu'après avoir trouvé (Dieu), on ne cessera de le chercher. On ne cherche pas Dieu par une course à pieds, mais par les désirs. Et l'heureuse découverte, loin d'éteindre le désir l'attise encore. La plénitude de la joie ne consume pas le désir, elle est plutôt une huile qui vient en alimenter la flamme. Oui c'est bien cela. La joie sera parfaite mais le désir n'aura pas de fin, et donc la recherche non plus. '

    Ici le paradoxe c'est la recherche qui aboutit, on pourrait parler d' union, sans pour autant mettre fin à cette recherche, et là j'ai envie de parler d'une joyeuse participation à la grande réjouissance.

    Le Soi plein de sa perfection se désire.
    Comment l'unique pourrait-il se réjouir de lui-même ? Dans sa grande histoire d'amour, il se donne à être.

    Nos amis soufis utilisent cet hadith qudsi :' J'étais un trésor caché. J'ai aimé à être connu. J'ai donc créé les créatures afin d'être connu'.

    On peut s'interroger sur la 'création', une création ex-nihilo, je préfère employer le terme manifestation.
    Il se manifeste : immanente transcendance, autre paradoxe ?
    Une gigue, une danse...

    David, merci.

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    1. Ah mais je crois bien que c'était ce passage. Mille mercis !

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  4. Dans ce cas, l'opposition désir/frustration n'est pas un paradoxe, c'est simplement duel. Le désir nait d'un manque, quel manque ? Peut être le début d'une recherche... salutaire.
    Même en ce qui concerne la recherche je ne parlerais pas de désir mais de ferveur, ou s'il reste une trace de désir, il devient moteur de l'en-quête, du retour à soi.

    Si la quête aboutit c'est bien l'amour qui est découvert, dans la mesure où il semblait couvert, dans le sens où il serait (emploi du conditionnel volontaire), obstrué, voilé, masqué...il serait (re-conditionnel) question alors d'ôter le superflu.

    Mais le grand paradoxe est que l'en-quête ne se résoud pas, elle se résorbe, elle s'anéantise, un mouvement prend fin sans laisser de trace.
    Place à l'en-vie !

    Et cet en-vie n'est pas désir, il est amour, il est complétude, satisfait en lui-même, par lui-même, il est perfection. Richesse infinie : explosive variété pour les sens, chaque son, chaque odeur, chaque couleur... porte son empreinte, une palette aux subtiles nuances de sensations, émotions, perceptions... Gratitude pour notre participation à cette réjouissance, et oui Shiva danse !

    Notre essence spirituelle est amour.
    Le Soi 'absolu' est amour.
    La conscience pure est amour pur.

    Shiva célèbre l'amour par sa danse, par amour, pour l'amour : le présent de l'en-vie. Chacun de ses mouvements est la manifestation de sa grande perfection.

    Bien à vous.

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