Méditation sur le Tantra ultime de la Déesse - Srīmālinīvijayavārtikam.
Ce texte, peu connu et inédit en France, est une sorte de libre commentaire sur le tantra ("livre") ultime selon Abhinavagupta. Dans ce livre il aborde ne nombreux points ésotériques, tels que la pratique de la "méditation de Shiva" (shiva-mudrâ). Il part du premier verset du tantra, mais son commentaire porte sur l'ensemble du livre qui comprend 23 chapitres. La Méditation elle-même est en deux parties : la première couvre les 17 premiers chapitres du tantra et comporte 1135 versets. La seconde porte sur les chapitres 18 à 23 et contient 335 versets.
Les versets 1 à 12 de la première partie invoquent le couple divin et les maîtres d'Abhinavagupta.
Tout commence par un couplet extraordinaire, que l'on retrouve en tête de tous les œuvres d'Abhinavagupta et qui contient tout son enseignement est qui peut se lire au moins sur deux plans, celui de la vie d'Abhinavagupta lui-même, et celui de la vie universelle de l'être et de la conscience :
bharita-tanuś ca pañca-mukha-gupta-rucir janakaḥ |
tad-ubhaya-yāmala-sphurita-bhāva-visarga-mayaṃ
hṛdayam anuttara-amṛta-kulaṃ mama saṃsphuratāt ||1||
qui dépendent de (son) dynamisme immaculé."
Cette première ligne s'adresse à la fois à la Déesse et à la mère d'Abhinavagupta - sa mère (jananî) - dont la grandeur (mahâ) fut n'avoir engendré (shrishti) Abhinavagupta (abhinava) et qui se nommait Vimalâ, "Immaculée".
cache son désir en ses cinq faces".
Le père d'Abhinava est mort quand il était encore jeune. Le premier composé le décrivant (bharitatanuśca) peut signifier "dont le corps est plein". Cela pourrait faire référence à sa beauté. Cependant, tanu- signifie, en plus de "corps", "émacié, maigre, mince, atténué". Il pourrait s'agir d'une allusion à des pratiques ascétiques : le père d'Abhinava se serait livré à des jeûnes qui auraient affaiblis (tanu) son corps (tanu) pourtant parfait (bharita). Et il en serait mort ; ce qui, par ailleurs, éclairerait le rejet de toute mortification dans l'enseignement d'Abhinava. Sur le plan universel, ce vers décrit Dieu, le géniteur (janaka) des univers innombrables, dont le corps de conscience déborde d'infinis potentiels. "Il cache (Abhinavagupta=abhinava/mère/shakti+gupta/père/shiva) son désir (ruci) en ses cinq faces". On sait que son père se prénommait Narasimgagupta. Les "cinq faces" de Dieu peuvent désigner ici toutes sortes de pentades : les cinq faces dont sont issus tous les savoirs et le Tantra ; les cinq pouvoirs à commencer par la conscience ; les cinq facettes de toute expérience selon l'enseignement ésotérique de la tradition de la Déesse (devî-naya, mahâ-artha-krama, kâlî-krama, etc.) : apparence, délectation, réflexion, inconscience et ineffable conscience, laquelle à la fois inclus et transcende ces quatre aspects ou moments.
Les deux lignes suivantes évoquent l'union de ce couple :
ce Cœur qui est la totalité immortelle,
Comme précédemment, ces lignes décrivent le fait que les parents d'Abhinavagupta sont réputés l'avoir conçu dans le cadre d'une union rituelle selon la tradition Kaula, bien que la chose ne soit pas très claire. En tous les cas, Abhinavagupta se considérait comme un "fils de la Yoginî". Mais cette yoginî peut désigner, outre sa mère, la partenaire dans les rituels sexuels, une entité féminine source de connaissance, ou encore la Déesse elle-même, c'est-à-dire la conscience en ses différents aspects.
Sur le plan à la fois philosophique et mystique, ces lignes contiennent tout le Tantra, le total de toutes les connaissance, la pleine conscience que l'Être a de lui-même. "L'absolu" (anuttara) est à la fois transcendant et immanent, absolu et relatif, la transcendance de la transcendance même, par-delà toute hiérarchie. L'extase (visarga) est à la fois le moment de l'orgasme, et l'acte d'être, l'émerveillement de la pleine conscience de soi, acte sous-jacent à toute expérience.
Je le répète, ces lignes contiennent tout l'enseignement d'Abhinavagupta, c'est-à-dire tout le Tantra, la réalisation entière du mystère en toutes ses facettes.
Pour approfondir, je vous conseille la lecture du commentaire de ce verset par Alexis Sanderson.
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