Kshemarâja et Râmakantha citent un beau verset :
samādhivajreṇāpyanyairabhedyo bhedabhūdharaḥ |
parāmṛṣṭaśca naṣṭaśca tvadbhaktivalaśālibhiḥ ||
"Les autres ne peuvent briser
la montagne de la séparation,
même avec le diamant du samâdhi !
Mais tes amoureux l'éprouvent et la détruisent tout à la fois."
Il y a plusieurs jeux de mots : "La montagne de la séparation (bheda) ne peut être séparée/brisée (abhedya)". Et "tes amoureux éprouvent cette montagne" : ils l'éprouvent (parāmṛṣṭa), ils la "réalisent", terme apparenté à vimarsha qui désigne la Shakti, la Déesse et le pouvoir essentiel de la conscience, le pouvoir au cœur de tous les autres, le pouvoir de ressentir, d'éprouver, de réaliser. "Eprouver" la séparation, c'est la détruire, car cette séparation entre soi et l'autre, entre soi et la conscience universelle, n'existe que dans la mesure où elle n'est pas pleinement éprouvé, connue, appréciée. Si je la regarde en face, je n'y goûte qu'unité. Le "diamant du samâdhi" ou de la parfaite concentration peut bien annuler provisoirement le sentiment de séparation, mais non pas durablement l'anéantir.
Cette idée rejoint celle de Ramana Maharshi, quand il distingue avec force entre la résorption (laya) provisoire du mental au moyen de la concentration sur un objet, et la destruction (nâsha) définitive du mental par la plongée en soi. Cette plongée, cette quête (mârgana), est d'ailleurs désignée chez Ramana par un terme aussi apparenté à vimarsha : vicâra, l'examen, l'investigation, l'attention pleinement donnée, la plongée de tout notre être, de toute notre attention, à la source de notre être. La concentration (dhyâna, samâdhi) est un état mental, en ce sens qu'il ne change rien à la succession des états mentaux, en dehors d'un surplus de souplesse ou d'habileté (c'est ce que propose la "pleine conscience"). La concentration est un état mental ordinaire. Comme dit Vyâsa, il y a de la concentration dans tous les états mentaux, même dans la confusion ! En revanche, l'expansion de conscience, le geste d'éveil, la plongée en soi, est un geste d'attention radicalement différent. Il introduit une véritable rupture dans le bavardage, par l'irruption d'une sensation de douceur, de limpidité, de paix, de réalité, de lucidité et d'amour, qui sont incomparables.
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