tvameva hi vapuḥsāraṃ bhaktairadvayaśodhitam || 14 ||
"Devenu Dieu, qu'on l'adore".
(Mais) je dis : "Devenu amoureux, (qu'on l'aime)" !
De fait, toi seul est le corps, l'essence,
purifiée par la non-dualité (réalisée) par tes amoureux."
Utpaladeva, Hymnes à Shiva I, 14
Selon la tradition shivaïte, et même tantrique en général, il faut d'abord devenir la divinité que l'on aspire à adorer, avant même de l'adorer. C'est pourquoi toute les pratiques tantriques commencent par "détruire" le corps ordinaire, profane, avant de le remplacer par un corps divin, un corps fait de Mantras, de puissances divines. Ensuite la pratique quotidienne peut commencer. C'est un préliminaire commun au rituels tantriques shaivas et vaishnavas. Même si la théologie est (relativement) dualiste, la pratique impose cette identification.
Or, cette pratique présuppose une dualité entre ce qui est divin et ce qui ne l'est pas. C'est justement cette séparation que l'amour divin (bhakti) remet en question. Si tout est réalisé comme corps divin, à quoi bon transformer les choses par des Mantras ? Le seul véritable Mantra, pour l'amoureux, est le Mantra "Je suis lui", "Je suis elle", "Tout est divin", "Je suis"... Tel est le véritable Mantra à la source de tous les autres. Cette réalisation silencieuse dans le cœur est la véritable efficience capable de tout transmuter.
Seule cette non-dualité peut transformer l'expérience. Pourquoi ? Parce qu'elle agit dans le cœur, à partir du cœur, avant l'opération des autres organes. Par conséquent, même si le mental de l'amoureux est agité, sont cœur, son amour, restent orientés vers le divin et tout se manifeste comme divin, y-compris le mental.
Les croyances qui font obstacle à cette orientation, à cette conversion du cœur, sont examinés dans la philosophie de la Reconnaissance (pratyabhijnâ), aussi formulée par Utpaladeva. Ainsi, philosophie et amour divin sont deux manières de décrire la même vie intérieure.
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