Selon le Tantra traditionnel, être éveillé c'est être sensible, "doué de cœur", sensible à la beauté. C'est le contraire de l'indifférence. Et ça n'est pas moi qui l'invente pour plaire à je-ne-sais-quelle clientèle, mais c'est bien Abhinava Gupta, incarnation reconnue de Shiva et maître en toutes les traditions du Tantra, qui nous le dit pour que chacun le vérifie dans son expérience :
tathā hi madhure gīte sparśe vā candanādike //
mādhyasthyavigame yāsau hṛdaye spandamānatā /
ānandaśaktiḥ saivoktā yataḥ sahṛdayo janaḥ //
ānandaśaktiḥ saivoktā yataḥ sahṛdayo janaḥ //
Abhinavagupta, Tantrâloka III, 209b-210
"Ce frémissement dans le cœur
quand on entend une douce mélodie,
quand on sent une sensation agréable,
quand on hume du santal et autres (choses semblables),
quand l'état d'indifférence disparaît,
est l'énergie divine de félicité.
C'est par elle qu'une personne est dite 'douée de cœur'",
"Douée de cœur" (sahṛdaya), non au sens moral, encore que..., mais au sens esthétique : est "doué de cœur" celle ou celui qui est ému par les belles choses, les beaux corps, les beaux parfums. A l'opposé se trouve l'âme "indifférente" (mādhyasthya, "le fait de se tenir au milieu", à la frontière, sans pencher vers, sans émotion donc), assoupie, insensible, impassible.
Or, cette sensibilité est l'énergie divine, la félicité qu'est l'universelle conscience en perpétuelle expansion en elle-même, un peu comme l'univers. C'est un état de frémissement, de vibration, d'omni-fulgurance (parisphuradrūpatā, dit Jayaratha) qui cite le Vijnâna Bhairava 73), car ce scintillement en expansion est, ajoute le commentateur, ce qui est partout désigné par les termes "liberté", "réalisation/ appréciation" (vimarśa) et "félicité". La conscience absolue est plaisir absolu, comme le suggérait déjà la Brihad Âranyaka Upanishad au VIIIè siècle avant notre ère. Brahman, l'absolu, est expansion. Or le plaisir est expansion, dilatation, épanouissement, sourire, bâillement, ouverture...
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