La forme reflète le fond.
La réalité apparaît dans son apparence.
Si l'enseignement est réconciliation de l'Un et du Multiple,
alors cette réconciliation doit apparaître dans sa forme.
De fait, l'enseignement est à la fois un et multiple.
Il existe une infinité de tantras (livres), de dharmas (religions), de mârgas (voies), de dévatâs (dvinités).
Et pourtant, il n'y a qu'un seul Tantra, une seule Révélation.
Le premier tantra est la Collection sur l'Essence du Souffle (Nishvâsa-tattva-samhitâ). Quatre livres introduits par un texte remarquable, car il fait le lien entre les religions exotériques et la Voie du Mantra.
Tous les enseignements viennent de Shiva. Non pas le Shiva avec un serpent au cou, mais Shiva le mystère sans forme au corps de conscience et de connaissance, pure vibration immobile.
Il se manifeste comme linga, le Signe, axe de lumière infini. Cette colonne vertébrale devient une sorte d'oeuf vertical en lequel s'ouvrent cinq face, d'où s'écoulent cinq fleuves, les cinq grandes sources de gnose salvatrice.
La Déesse, émue par les souffrances des vivants, demande en effet au Mystère des remèdes. Ces cinq flots sont donc des remèdes, des moyens de réaliser les quatre but de la vie : plaisir, développement, altruisme et liberté.
D'où vient ce récit ? Selon ce tantra ancien, il est rapporté par Nandi, un fils de Shiva. Les sages védiques, poussés par la curiosité, le rencontrent dans la Forêt des Déodars, arbres parfumés et très sacrés de l'Himâlaya, lieu de révélation du shivaïsme. C'est la contrepartie tantrique de la forêt védique de Naïmisha.
Et donc il y les cinq rivières de gnose salvatrice, de plus en plus puissante :
- la religion du monde, qui comprend le shivaïsme universel et toutes les religions et les savoirs, spirituels ou non
- la religion védique, l'enseignement des âges de la vie
- la religion spirituelle, yoga et Sâmkhya
- la religion transcendante, le shivaïsme ascétique
- la religion des tantras et de l'initiation, la Voie du Mantra
La Voie du Mantra jaillit de la face supérieure du linga.
La "religion du monde" est résumée dans plusieurs chapitres. Elle comprend le shivaïsme accessible à tous sans initiation tantrique. Sa pratique est l'adoration du linga avec le Mantra om namah shivâya, avec des hymnes et des offrandes au linga. On peut aussi offrir des jardins, des arbres, de la musique, de la danse. Dans ce texte, Shiva affirme qu'on peut offrir des rires, du théâtre, mais aussi le plaisir sexuel. Ascèse et plaisir sont opposés, mais on peut les offrir, car tout est possible. On voit que, même à son niveau le plus basique, le shivaïsme se distingue par sa générosité et son optimisme.
De même, Shiva enseigne ici et dans les textes du shivaïsme universel, que l'on peut adorer n'importe quel dieu ou déesse selon nos préférences et nos affinités. Shiva ne se contente pas de cette affirmation générale, puisqu'il présente ensuite le culte d'une bonne vingtaine de divinités, dont le Soleil, Ganésha ou encore Vishnou. Le Mystère prend la forme que nous désirons. Voilà une philosophie simple qui permet d'inclure, d'accueillir, sans pour autant tomber dans l'égalitarisme du "tout se vaut". Unité sans confusion, hiérarchie ouverte.
Le shivaïsme du Cachemire, avec la grande synthèse d'Abhinava Goupta, ne fait qu'approfondir cet inclusivisme qui est vraiment l'essence de l'Hindouisme. Ici, point de monolâtrie, d'appels au génocide à la manière biblique, ni de jalousie furieuse. Ce qui n'empêche pas chacun de choisir sa divinité d'élection (ishta-devatâ) selon son intuition. Chacun sait que cet unique est un des visages de l'Unique. Il n'y a là rien de difficile à entendre.
Plus tard donc, Abhinava Gupta approfondit cette idée de l'unité dans la diversité. Sans nier la supériorité de la religion du Koula (kula-dharma), il explique que cette religion ésotérique est simplement la quintessence de toute religion, et même de toute culture :
"Il n'y a qu'une seule Révélation, car tous les enseignements, à commencer par ceux du monde, ceux de Vishnou, du Bouddha, de Shiva, tous sont fondés sur cette [Révélation]. Le but ultime à atteindre au moyen de cette [Révélation] s'appelle 'la Triade', que l'on appelle aussi 'le Corps' (kula) dans la mesure où cette [réalité] reste une à travers ses différenciations. De même qu'il n'y a qu'une vie à travers les organes du corps, de même la Triade est l'âme de tous les enseignements. Le Tantra du Koula de Kâlî le dit :
'Comme le parfum dans la fleur,
comme l'huile dans le grain,
comme la vie dans le corps,
comme le nectar dans l'eau,
le Koula est le fondement intérieur
de tous les enseignements'.
Il n'y a donc qu'une seule Révélation qui se diversifie en fonction des dispositions diverses [de ceux à qui elle s'adresse]." (Tantrâloka XXXV, 30-35)
Il a donc une seule conscience qui joue à être une infinité de personnages qui parcourent une infinité de voies. Voilà pourquoi il existe un seul Tantra manifesté en une infinité de tantras. La forme de l'enseignement répond à son contenu.
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