le regard du gourou
Il ne s'agit pas seulement des gourous au sens moderne, des "swamis" et autres "sadgurus" du folklore contemporain, mais de l'essence profonde du gourou, guru-tattva.
Qu'est-ce qu'un guru ?
C'est un être ou une chose qui a le pouvoir de pointer vers un au-delà de lui et de tout. Le guru est pradarshaka, "celui qui indique". Dans l'hindouisme récent, le gourou tend à remplacer tout ce que cette riche culture a perdu. Dans la tradition pré-islamique, le gourou est un personnage, certes ; il est toutefois bien davantage. Un gourou peut être un chien ou un brin d'herbe. Le plus souvent, le gourou est un homme qui explique des textes, un lecteur qui fait la leçon, c'est-à-dire la lecture, adhyâya.
Que l'on ne me sorte pas, je vous en prie, la définition de guru que l'on trouve à la fin de l'Avadhoûta-gîtâ, ce texte tardif et notoirement misogyne.
Selon Abhinava Goupta, le gourou n'est pas nécessairement un être "réalisé" (siddha). Il doit seulement connaître les textes. Même si Abhinava reconnaît que certains peuvent s'éveiller spontanément, il rappelle que le plus important (guru) est la connaissance intellectuelle (bauddha-jnâna), la gnose fondée sur les textes (tantra), car c'est elle, et uniquement elle, qui permet d'atteindre la liberté en cette vie. Les initiations et autres opérations occultes ne permettent d'atteindre la libération qu'après la mort. C'est du moins ce qu'il enseigne dans le premier chapitre de son Tantrâloka.
Toutefois, comme on a vu pour la tradition de Kâlî, la Reconnaissance et le shivaïsme en général, le gourou est bel et bien au centre de la transmission. Il y a plusieurs visions du gourou : une vision du gourou comme transmetteur de connaissance textuelle, très importante dans le tantrisme ; et une vision du gourou comme canal d'une grâce plus mystérieuse, que ce soit par un rituel initiatique dont les résultats ne sont pas directement visibles, ou par une sorte de transmission d'énergie de conscience. Ce dernier cas est parfaitement illustré par la tradition de Kâlî, où l'on a je crois le plus ancien récit d'éveil par transmission "directe", sans paroles ni symboles (cliquer ici pour le début de ce récit). Dans le Kâlî-krama comme dans le Dzogchen, il y a trois niveaux de transmission : direct, par symbole, et verbale.
On le voit : le gourou est simplement l'intermédiaire entre le Moi factice et le Moi réel, entre l'humain et le divin. C'est un office, une fonction (adhikâra), un rôle qui d'ailleurs peut être de passage. Et qui l'est, en général. Selon le shivaïsme, les gourous sont des Mantras, des sortes d'anges qui s'incarnent sur terre sur ordre de Shiva, le gourou des gourous, pour délivrer les âmes ordinaires avant de se fondre en Shiva une fois leur tâche accomplie. De même que la raison d'être d'un mot est de se faire oublier en pointant ce qu'il exprime, de même la raison d'être du gourou est de s'effacer, de devenir un canal transparent pour ce qu'il partage. Evidemment, c'est à la fois facile et difficile. N'importe qui peut, selon les circonstances, être investi "gourou". Cela donne des devoirs, pas des droits. Et c'est un fardeau, pas un cadeau. Un film indien magnifique reflète bien cette conception du gourou : The Guide. Je n'en dirai pas plus, je vous conseille seulement de regarder cette fable instructive qui vous fera plonger au cœur de l'essence du gourou.
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