Il existe dans le shivaïsme et dans la tradition Kaula un yoga des visions très peu connu et pourtant très important.
Il ne s'agit pas de visualisations comme dans le yoga du corps subtil enseigné dans tous les tantras, mais qu'une pratique contemplative fondée sur la fixation du regard sur le ciel, sur l'obscurité, sur une source lumineuse ou encore sur une pression exercée sur les yeux. Des visions se développent en parallèle avec l'expansion de la conscience.
Ce yoga est central dans la tradition Kaula, avec ses deux autres pratiques essentielles : l'écoute du souffle et l'union sexuelle.
Ce yoga des vision est décrit dans le Tantra Ultime de la Gloire de la Déesse-alphabet (Mâlinî-vijaya-uttara-tantra), dont toute l'oeuvre tantrique d'Abhinavagupta est une sorte de commentaire. Ce tantra est centré sur les différents yoga ou contemplations (dhâranâ) organisées selon la hiérarchies des trente-six niveaux de conscience (tattva), des cinq états (veille, etc.) et des sept plans de la subjectivité.
Voici un passage tiré de ce tantra, qui développe un peu (c'est toujours très concis, mais précis) ce yoga des visions :
14.19ab: ato rūpavatīṃ vakṣye divyadṛṣṭipradāṃ śubhām
14.19cd: dhāraṇāṃ sarvasiddhyarthaṃ rūpatanmātram āśritām
14.20ab: ekāntastho yadā yogī bahirmīlitalocanaḥ
14.20cd: śaratsaṃdhyābhrasaṃkāśaṃ yat tat kiṃ cit prapaśyati
14.21ab: tatra cetaḥ samādhāya yāvad āste daśāhnikam
14.21cd: tāvat sa paśyate tatra bindūn sūkṣmatamān api
14.22ab: ke cit tatra sitā raktāḥ pītā nīlās tathāpare
14.22cd: tān dṛṣṭvā teṣu saṃdadhyān mano 'tyantam ananyadhīḥ
14.23ab: ṣaṇmāsāt paśyate teṣu rūpāṇi subahūni ca
14.23cd: tryabdāt tāny eva tejobhiḥ pradīptāni sthirāṇi ca
14.24ab: tāny abhyasyaṃs tato dvyabdād bimbākārāṇi paśyati
14.24cd: tato 'bdāt paśyate tejaḥ ṣaṇmāsāt puruṣākṛti
14.25ab: trimāsād vyāpakaṃ tejo māsāt sarvaṃ visarpitam
14.25cd: kālakramāc ca pūrvoktaṃ rūpāvaraṇam āśritam
14.26ab: sarvaṃ phalam avāpnoti divyadṛṣṭiś ca jāyate
14.26cd: itīyaṃ kalpanāśūnyā dhāraṇākṛtakoditā
14.27ab: daśapañcavidho bhedaḥ svayam evātra jāyate
14.27cd: ato 'syāṃ niścayaṃ kuryāt kim anyaiḥ śāstraḍambaraiḥ
(XIV, 19-27, édition par Somadeva Vasudeva)
"Ensuite, en vue de la la réalisation de toutes les réalisations,
je vais exposer la belle et bonne contemplation qui porte sur la forme :
elle repose sur la vision et elle procure la vision divine.
Quand le yogî vit dans la solitude, il ferme ses yeux au-dehors.
Il vois alors une sorte d'espace qui ressemble au crépuscule
d'un ciel d'automne.
Il y pose son attention pendant dix jours.
Il voit alors des sphères de lumière (bindu),
bien que très subtiles :
certaines sont blanches, d'autres rouges, jaunes ou bleues.
Une fois qu'il les voit,
il doit y déposer entièrement son attention,
attention pour rien d'autre.
S'il les contemple pendant six mois, il verra dans les (sphères de lumière)
de très nombreuses formes.
Au bout de trois années, elles se stabilisent et s'enflamment d'éclat.
Si l'on persévère, au bout de deux années (supplémentaires)
il verra des silhouettes (bimba).
Un an plus tard, il verra un éclat.
Six mois de plus et il verra des personnes (entières).
En trois mois, cet éclat infusera (toute son expérience),
et il s'avancera encore plus loin après un mois de plus.
Et avec le passage du temps,
en s'appuyant sur ces formes,
il obtiendra tous les fruits
et la vision divine naîtra.
Ainsi se développe cette contemplation
non-factice, vide de toute construction mentale.
Les quinze étapes (de la contemplation) surgissent
ici spontanément.
Il faut donc avoir foi en elle :
à quoi bon le chaos des autres enseignements ?"
Or, ce genre de pratique est bien connue aussi dans les systèmes bouddhistes de Guhyasamâja, Kâlachakra et surtout dans le Dzogchen tardif. Mais le Dzogchen et ses adeptes prétendent souvent que ces pratiques sont exclusives au Dzogchen et ne se trouvent nulle part ailleurs... Cette ignorance crasse et cette mauvaise foi sont regrettables. Mais peu importe, au fond.
Ces pratiques sont décrites brièvement dans le Vijnâna Bhairava Tantra.
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